3- Les enjeux du neuropouvoir

Le neuropouvoir va servir de support à l’atteinte de buts par les individus et institutions. Si ces buts peuvent dans les faits se présenter sous une infinité de formes différentes, on peut trouver dans les jeux du neuropouvoir des enjeux majeurs qui concernent une grande partie des acteurs et actrices décrites dans les articles précédents.

La souveraineté, la santé, la vérité, le capital économique et le prestige sont à mon avis les enjeux les plus importants du neuropouvoir car ils sont présents à tous les échelons du pouvoir, pour chaque catégorie, avec des sens exacts qui vont varier, fournissant aux individus et institutions la structure des oppositions sur laquelle elles se polarisent.

Selon les catégories, et selon les différents groupes à l’intérieur, ces enjeux vont revêtir différentes formes, et différentes significations. De même, ces catégories et sous-catégories vont disposer de plus ou moins de ressources pour faire valoir leur intérêt dans les luttes autour de ces enjeux. Il est à mon avis important d’avoir en tête que ce sont ces enjeux qui sont recouverts par le neuropouvoir, et qui vont être l’objet de la neuropolitique.

La souveraineté :

La souveraineté a deux sens traditionnels : celui de souveraineté des États et celui de souveraineté des peuples. Dans les deux cas, la souveraineté correspond à la capacité effective d’action sur son territoire d’une institution, d’un groupe social ou d’un individu, et donc à sa capacité à empêcher une ingérence extérieure. En négatif se dessine l’enjeu miroir de la souveraineté, la capacité d’ingérence.

Les différentes catégories et sous-catégories vont alors se répartir selon qu’elles aient plus ou moins de capacité effective d’action, de capacité à contrer l’action extérieure et de capacité d’ingérence. De façon générale, toutes s’emploieront à essayer de développer le plus possible ces trois modes de la souveraineté, à leur échelle. On peut les voire comme des déclinaisons de la neuropolitique.

Les consommateurs et consommatrices vont manifester leur souveraineté seules ou en organisation. Elles tenteront d’obtenir une capacité d’action sur leur consommation, sur ce qu’elles peuvent se procurer et sa qualité, sur leur confort général, etc. Elles essayerons de se protéger de l’ingérence des autres groupes, comme des défenseur.e.s des normes que sont la police et la gendarmerie pour celles et ceux qui consomment des stupéfiants. Enfin, elles essayeront de faire preuve d’ingérence en proposant de modifier la législation ou en tentant d’influer sur la direction que prend une structure associative d’allié.e.s des consommateurs et consommatrices.

Ces allié.e.s, vont développer une souveraineté qui porte généralement sur la capacité à protéger les intérêts supposés des consommatrices et consommateurs et l’indépendance de leur structure, par rapport à l’État ou au secteur privé, par exemple. Ils tenteront d’ingérer dans les actions des consommateurs et consommatrices et de l’État principalement.

Les deux types de criminalité vont chercher à pouvoir réaliser leurs actions illégales avec le moins de risques possibles, et vont beaucoup se protéger contre l’ingérence de l’État et des défenseur.e.s des normes, mais aussi des autres criminel.le.s, tout en tentant d’atteindre à la souveraineté de toutes les autres catégories.

Les créateurs et créatrices de normes comme les défenseur.e.s vont chercher la souveraineté dans leur organisation, leur mouvement, tout en essayant de se protéger contre qui chercherait à le modifier. Ils et elles tenteront surtout d »agir sur la souveraineté des consommateurs et consommatrices, mais aussi des criminel.le.s.

Les États et structures de gouvernance vont tenter de réguler la souveraineté de toutes les autres catégories, et protégeront la leur principalement des autres structures de gouvernance, des industries et de la criminalité d’importance. Ce seront aussi leurs trois cibles préférées pour pratiquer l’ingérence.

Les entreprises et industries chercheront à pouvoir contrôler toute la gestion de leurs structures et à les protéger face à l’Etat, aux créatrices et créateurs et défenseur.e.s des normes ainsi qu’aux consommateurs et consommatrices. Les structures de gouvernance et les consommateurs et consommatrices étant leur principale cible pour exercer leur ingérence.

Enfin, les expert.e.s vont défendre comme leur territoire leurs espaces de recherche et d’expression, surtout contre l’ingérence d’autres expert.e.s, mais aussi des entreprises et industries, ou des défenseur.e.s des normes. Selon leur positionnement, ils tenteront de modifier potentiellement la souveraineté de toutes les autres catégories.

La santé :

La santé est un autre des enjeux majeurs du neuropouvoir. Elle peut être individuelle ou publique, selon le mode d’appréhension de l’enjeu par la catégories observée.

La santé existe comme enjeu de deux grandes manières :

-Les neurochimiques sont des substances extérieures qui, pour être consommées, nécessitent d’être introduites dans le corps humain. Comme toute introduction dans le corps d’éléments extérieurs, la prise de neurochimiques peut engendrer des effets secondaires à l’effet psychotrope sur ce dit corps. Certains vont être toxiques, neurotoxiques et/ou addictifs, d’autres non. D’autres pourront être préventives ou médicinales, ou anti-addictives. Certains de ces effets seront recherchés, pour la médecine (comme l’anesthésie produite par la morphine) ou pour la guerre (comme l’addiction des opiacés lors des Guerres de l’opium), ou pour d’autres raisons encore ; ou bien fuis, ou considérés comme des dommages collatéraux.

Ces effets directs sur le corps vont être le premier enjeu de santé du neuropouvoir.

-Les neurochimiques sont des biens dont une partie est illégale, que ce soit en tant que stupéfiant ou en tant que contrebande. Ils peuvent être coupés à des produits plus ou moins dangereux, et être entourés de dangers physique de divers types (agressions, assassinats, répression policière, guerres…). Ils vont donc avoir des implications sociales impactant directement, généralement en négatif, sur la santé des individus.

Ces effets indirects sur le corps vont être le second enjeu de santé du neuropouvoir.

Globalement chaque catégorie va essayer de protéger la santé des individus qui la composent ou la soutiennent et tenter de nuire à la santé des individus d’autres catégories lorsqu’elle y voit un intérêt. Certains protégeront aussi la santé d’une ou plusieurs catégorie(s) considérées comme alliées. Il faut bien comprendre que la santé est ici un enjeu politique, qui recouvre partiellement la réalité sociale de la santé, mais n’est pas à comprendre selon les mêmes logiques. Certain.e.s, par exemple, allié.e.s des consommateurs et consommatrices ont ainsi une vision de ce qui est bon pour la santé de celles et ceux-ci qui peut différer de ce qui est bon d’un point de vue objectif et médical pour leur santé. En tant qu’enjeu, la santé n’a pas les mêmes propriétés qu’en tant que réalité objective et médicale.

Les consommateurs et consommatrices protègent ainsi généralement du mieux qu’ils peuvent leur santé, encore que des contre-exemples puissent être fournis. Ils peuvent aussi protéger la santé des non-consommateurs et non-consommatrices, et se protégeront elles et eux-mêmes contre les atteinte à leur santé de la part de membres de la criminalité ou contre les défenseur.e.s des normes, ainsi que contre les industries, s’ils et elles en ont les moyens.

Les allié.e.s protégeront d’abord les consommateurs et consommatrices, mais aussi les non-consommateurs et non-consommatrices et leur propre catégorie. La plupart du temps contre les atteintes portées par le produit, les entreprises et la criminalité, principalement.

Les deux types de criminalité n’auront tendance qu’à protéger la santé de leurs membres, ou plutôt de ceux qui obtiennent suffisamment de pouvoir pour organiser une défense efficace, et à atteindre à celle de toutes et tous si besoin est.

Les structures de gouvernance protégeront généralement la santé publique (censée être celle de l’ensemble de la population sous leur garde) contre les atteintes de la criminalité, principalement, mais aussi des entreprises. Elles nuiront si besoin est à la santé publique d’autres structures de gouvernance, à celle de certaines consommatrices et consommateurs, ainsi qu’à celle des membres de la criminalité.

Les défenseur.e.s comme les créatrices et créateurs de normes vont avoir des configurations très variables sur ce sujet, comme il s’agit de catégories incluant des individus, mouvements, organisations extrêmement diverses. Généralement ils tenteront de protéger la santé publique et la leur, contre les atteintes pouvant provenir de toute part.

Les entreprises sont moins portées par les actions en regard de la santé, encore que celle de leurs employés et l’efficacité de leurs médicaments ou la correcte préparation de leur alcool ou tabac puissent être surveillées, notamment pour éviter des procès. Du reste, la protection de la santé reste malheureusement souvent secondaire par rapport aux bénéfices.

Finalement, les expert.e.s peuvent protéger la santé des consommateurs et consommatrices, ainsi que des non-consommateurs et non-consommatrices, mais aussi de leurs allié.e.s, toutefois, cela n’est pas forcément le cas. Selon les expert.e.s, ils et elles vont défendre ces santés contre les attaques de toutes les autres catégories, surtout celles disposant de pouvoir (criminalité, États, industries et autres expert.e.s).

La vérité :

Enjeu foucaldien par excellence, la vérité est au centre des luttes de pouvoir menées par le discours. Il s’agit pour chaque partie liée à ces luttes de fournir un discours qui vient sous-tendre ses actions, les justifier, les rationaliser. Il ne s’agit pas de la vérité au sens de vérité absolue, mais plutôt, au sens de vérité subjective, de vision de la vérité des neurochimiques.

Cette vérité subjective change selon les acteurs, qui vont chercher une cohérence entre leurs actions et leurs discours, les deux étant censés se soutenir mutuellement. Nous parlerons donc de vérité des acteurs et actrices, et pas de vérité tout court.

En effet, chaque catégorie, en grandes tendances, chaque sous-catégories, en tendances plus stables, mais aussi chaque institution, actrice et acteur va proposer une version de la vérité des neurochimiques. Bien sur, il n’est pas nécessaire que cette vérité comprenne dans son analyse l’ensemble des neurochimiques, chacune des parties citées ci-dessus pouvant avoir des intérêts plus spécifiquement centrés sur une substance ou groupe de substances.

Il s’agit d’un enjeu de discours, et le polymorphisme des vérités qui en découle fait qu’il est difficile de présenter les grands axes de l’enjeu de vérité des neurochimiques sans le faire au sein d’une présentation plus large de l’histoire du neuropouvoir et de ses détails. Le discours de vérité change en permanence, même au cours du temps pour un individu ou une institution/organisation donnée, et perd tout son sens sorti de son contexte.

On peut toutefois déjà dire que les expert.e.s joueront un rôle pivot dans l’articulation des réseaux de discours portant sur les neurochimiques, qui en produisent eux et elles-mêmes, mais leur discours est réapproprié, surtout dans les sociétés contemporaines, à qui la caution scientifique et le rationalisme sont chers, par l’ensemble des autres catégories qui l’intégreront au leur pour en appuyer la véracité. Les expert.e.s et leurs discours sont donc la pièce maîtresse de cet enjeu.

Je développerais plus dans la prochaine partie l’influence de la vérité dans les jeux du neuropouvoir, car si je passe rapidement dessus ici, il ne s’agit pas moins d’un des enjeux majeurs, dont l’importance est capitale pour l’ensemble des acteurs et actrices agissant au moins en partie dans la légalité, et même dans une certaine mesure, pour les autres.

Le capital économique

Le capital économique ne rentre que peu dans les considérations de Foucault sur le pouvoir. A mon avis, les disparités d’accès aux ressources économiques sont si criantes entre les différentes actrices et acteurs liés au neuropouvoir qu’il faut insister un peu plus dessus que pour, par exemple, l’analyse du pouvoir et du discours sur la sexualité ou la folie. Par le neuropouvoir sont liés entre eux des consommateurs et consommatrices de pays pauvres et des grands capitalistes, des narco-trafiquants dotés d’armées ou des services secrets de puissances géopolitiques majeures de pays dits développés, séparés par un fossé gigantesque de moyens financiers et matériels. La mondialité du neuropouvoir couplé à une dimension férocement capitaliste du marché des neurochimiques mettent en relation des individus et institutions dont les pouvoirs économiques respectifs sont sans commune mesure. Il est aussi possible que la mondialisation générale de l’économie et les processus de plus en plus concentrateurs de l’accumulation du capital à l’ère néolibérale (dont les fonctionnements sont décrits par Thomas Piketti dans Le Capital au XXIe siècle) renforcent de façon générale l’importance de la donnée économique dans les jeux de pouvoir par l’accroissement des inégalités économiques au niveau mondial.

L’argent est donc très inégalement réparti entre les individus et institutions participant des jeux du neuropouvoir, entre les plus pauvres et les plus riches. A titre d’exemple, le chef du cartel mexicain de Sinaloa, Joaquin Guzman Loera, a été classé par le magazine Forbes 67ème sur la liste des Powerfull people en 2013, et 1153e sur celle des milliardaires en 2012. Un tel individu, à la tête d’une organisation criminelle engrangeant des bénéfices colossaux écrase complètement de son poids économique les consommateurs et consommatrices de pays pauvres ou en voie de développement.

Les catégories les mieux fournies économiquement sont les structures de gouvernances, les industries, les organisations de la grande criminalité. A l’inverse, les membres des autres catégories ont rarement un capital qualifiable d’important. Certains des consommateurs et consommatrices, notamment, vivent même avec très peu de moyens, voir presque pas.

Là encore, les liens sont complexes, d’autant que beaucoup sont faits avec d’autres pans de l’économie. Je vais toutefois décrire brièvement les grands axes économiques internes à l’économie des neurochimiques.
Les consommateurs et consommatrices vont acheter des substances aux industries et à la petite criminalité, qui se fournira auprès de la grande. Les structures de gouvernance tendent à essayer de réguler ces transactions.

Au niveau international, on peut distinguer des économies illégale micro-locales, locales et transcontinentales et des économies légales principalement de production/consommation de masse.

Les économies illégales micro-locales formées de circuits où l’ensemble des transactions concernant une production se font en un ou deux passages de mains. Il s’agit de petites productions d’alcool ou de cannabis, par exemple que les producteurs ou productrices consomment et/où vendent à une poignée de personnes, rarement au delà des alentours de leur commune de résidence. Y rentrent aussi les petits trafiques d’ordonnances et de médicaments.

Les économies locales peuvent impliquer la grande délinquance. Elles reposent sur des circuits où toutes les étapes de la production à la consommation se font sur le même continent, voire sur le même pays, la même région où la même agglomération (pour les plus grandes villes). Toutefois, les pays producteurs et consommateurs, le cas échéant, sont relativement proches d’un point de vue locatif et économique. L’économie des stupéfiants -de synthèse, notamment- ou de certaines entreprises de contrefaçon d’alcool, de médicaments ou de cigarettes rentrent dans ce type d’économie. Par exemple, la 3,4méthylènedioxy-méthamphétamine, appelée couramment MDMA ou ecstasy quand présentée sous forme de comprimée, consommée en Europe provient principalement des pays de l’Est de l’Europe (source International Narcotic Control Board ici). De même, la méthamphétamine consommée aux États-Unis d’Amérique est en grande partie produite au sein même du pays dans des laboratoires clandestins, laissant pour trace les saisies de précurseurs -éphédrine et pseudoéphédrine- de la méthamphétamine (les molécules qui peuvent être transformées en methamphétamine ; source INCB ici).

Les économies illégales transcontinentales impliquent des circuits reliant au moins deux continents. Il s’agit des circuits des stupéfiants d’extraction, mais aussi des grands circuits de contrebande de produits légaux, alcool, cigarettes, médicaments. Par excellence, ce sont les circuits de la cocaïne et de l’héroïne, deux substances provenant de plantes (la coca, erythroxylum coca et le pavot à opium, papaver somniferum) cultivées dans des pays relativement pauvres et politiquement instables, qui doivent y être extraites (et transformées) pour être exportées et vendues dans les pays dits développés (Europe, Amérique du Nord) ou en voie de développement (Asie du Sud-Est, Europe de l’Est, certains pays d’Afrique), où elles seront consommées.

Enfin, les économies légales font généralement intervenir de plutôt grosses entreprises, surtout pour le tabac et les médicaments, mais également pour l’alcool. Les produits servant à l’élaboration de ceux-ci peuvent provenir de n’importe où pour les médicaments (la plupart des molécules de la pharmacopée contemporaine étant même synthétisées) ou l’alcool (qui est produit aux quatre coins du globe). Le tabac provient, lui, majoritairement d’Amérique du Nord. Ces produits sont vendus dans la plupart des pays du monde, les pays occidentaux étant toutefois la cible privilégiée de l’industrie du médicament du fait du plus fort pouvoir d’achat de leur population.

Le prestige :

le dernier des enjeux que je développerais ici est le prestige, que l’on peut associer à la notion éponyme de Max Weber ou au capital symbolique de Pierre Bourdieu.

Le prestige représente le pouvoir qu’une institution ou un individu possède et qui correspond au pouvoir dégagé par l’agrégation d’autres pouvoirs, un pouvoir d’ordre symbolique émanant de la réputation associée à son statut. Le prestige est en quelque sorte le pouvoir venant de l’anticipation de l’effet du pouvoir d’une institution ou d’un individu par les autres institutions et individus.

Mais le prestige est aussi un pouvoir en soi, en ce qu’il fourni l’autorité symbolique utile ou nécessaire à certaines tâches. Cette autorité peut s’exprimer sous des formes que l’on considérerait généralement comme positives (comme la confiance), aussi bien que négatives (comme la terreur) ou relativement atones (comme la loi), l’important étant que cette autorité est comme un pouvoir à crédit dont l’ampleur serait corrélative du pouvoir réel de l’institution ou organisation.

Par exemple, les mafias empêchent bon nombre d’accusations ou procès par la terreur qu’elles évoquent, car elles sont symbole du danger représenté par leur organisation concrète et son pouvoir. Par l’accumulation de pouvoir et d’action symbolique marquante (assassinats, passages à tabac, vandalisme, etc), les mafias s’entourent d’une aura de danger et de peur qui les rend encore plus puissantes car peu sont celles et ceux qui acceptent de risquer d’être victime d’une vengeance pour s’être opposé à la mafia locale, ajoutant l’émotion (la crainte) à l’inquiétude logique face à une telle organisation. En limitant par leur prestige la capacité d’action de leurs ennemi.e.s potentiels, les mafias augmentent indirectement leur propre pouvoir.

Le prestige est également contagieux. C’est à dire que l’on peut « emprunter » le prestige d’une autre institution ou individu, en se réclamant de lui, par exemple, ou carrément lui « voler », en le ridiculisant, par exemple. Ainsi les acteurs et actrices auront tendance à se reposer les un.e.s sur les autres, et à se servir des impressions dégagées par l’état des rapports de force qu’ils et elles entretiennent. Pour reprendre l’exemple de la mafia, une mafia paraîtra -et donc sera- d’autant plus puissante si la population locale pense ou sait que le pouvoir politique local est impuissant ou corrompu, et qu’il n’est donc pas apte, malgré son pouvoir, à lutter contre la mafia. Le prestige est donc très mobile sur les axes des rapports de force.

Les individus et institutions ayant le plus de prestige proviennent surtout des catégories des défenseur.e.s des normes, des structures de gouvernance, des membres et organisations de la grande criminalité et de l’industrie. Les allié.e.s des consommateurs et consommatrices, les créateurs et créatrices de normes et les expert.e.s peuvent également atteindre un niveau relativement élevé de prestige, mais limité par leur pouvoir moins étendu.

Les transferts de prestiges se font dans tous les sens, les individus et institutions pouvant en emprunter ou en voler à presque n’importe qui, selon le contexte.

Enfin, le prestige venant de l’appréciation subjective du pouvoir objectif, il est en quelque sorte un pouvoir « passif », qui n’a pas besoin d’être mobilisé pour être efficient, et est donc actif dans toutes les directions (bien que ce puisse être à des intensités variables).

Bellum omnium contra omnes

J’ai nommé mon blog Contra Omnes en référence au concept de Thomas Hobbes bellum omnium contra omnes. Généralement traduit comme « la guerre de tous contre tous », ce concept philosophique exposé en 1651 dans le Léviathan, est à mon avis tout à fait à même de décrire certaines réalités de la vie sociale, certains pans de l’économie libérale, pour peu qu’on se le réapproprie. Pour moi, ce concept revêt une importance particulière, que j’expliquerais dans cet article, qui présente l’idée et ce qui la rend à mon avis transposable à l’observation de logiques actuelles, et dans un prochain qui expliquera plutôt pourquoi j’en ai fait le titre de ce blog.

Pour se mettre un peu dans l’ambiance.

Le Léviathan est un ouvrage conséquent tant en termes de volume que d’impact. Il a en effet eu une influence énorme sur la formation de la pensé politique et économique dominante contemporaine et moderne, libérale et rationaliste. C’est de cet ouvrage que vient par exemple la conception largement partagée aujourd’hui selon laquelle l’ « homme est un loup pour l’homme » (homo homini lupus, de la formule de Titus Maccius Plautus, écrivain de la Rome antique, qui dans sa pièce l’Asinaria fera dire à l’un de ses protagonistes Lupus est homo homini, non homo, quom, qualis sit, non novit, (« l’homme est un loup pour l’homme, n’est plus un homme, quand il ne sait pas ce qu’il est »). De là découle en partie la conception théorisée par Adam Smith plus tard selon laquelle l’être humain se comporte selon un mode de pensée rationnel organisé autour de l’intérêt individuel.

Il s’agit d’un traité sur la théorie du contrat social, le contrat imaginaire/symbolique que l’individu passe avec la société lorsqu’il rentre en son sein. C’est à dire qu’il s’agit de penser la logique de l’organisation des êtres humains en sociétés regroupant des multitudes d’individus.

Pour Hobbes, la loi est pivot. C’est la loi qui fait la société, car, en se pliant au contrat social, les individus échangent du pouvoir, de la liberté, contre une protection mutuelle par la force de l’agrégat. Penser l’agrégation en société sous la forme d’un contrat pousse Hobbes à imaginer et décrire le monde social tel qu’il est avant que ce contrat ne soit signé.

Il appelle ce monde social sans contrat social l’état de nature. Dans cet état de nature, les individus ne sont soumis à aucune autre loi que celle de leurs désirs.

Comme les individus sont relativement semblables (ils ont tous besoin de manger, boire, se vêtir, se protéger des intempéries…), ils désireront plus ou moins les mêmes choses. Or celles-ci nécessitent d’employer des ressources naturelles limitées.

Les individus entrent donc en concurrence. C’est la première étape de la guerre -l’état de guerre étant pour Hobbes l’état où les individus considèrent comme une possibilité l’emploi de la force et des armes. Ces individus vont donc devoir se disputer les ressources à disposition pour pourvoir à leurs désirs et besoins.

Or l’être humain est un animal intelligent, il est capable de prévoir à l’avance des événements et de se protéger ainsi contre. Dans un climat de concurrence, les individus vont donc tenter de prévenir la spoliation ultérieure en se méfiant des autres individus, dont ils douteront de la parole et des intentions. C’est là la deuxième étape de la guerre selon Hobbes, lorsque la défiance s’installe entre les individus.

Enfin, pour prévenir toute attaque et par soif de prestige, les individus manifesteront une recherche de la gloire, et chercheront ainsi, par leurs faits et dires, à s’auréoler d’une réputation.

La concurrence, la défiance et la gloire vont faire que, par la ruse et les alliances, les individus se mènent une guerre sans camps, la guerre de tous contre tous.

Le fait que Hobbes ait tiré son concept d’homo homini lupus en tronquant la phrase de Plautus, qui y mettait condition quom, qualis sit, non novit est à mon avis un indice -non perçu par Hobbes- de l’usage que l’on peut faire de ses concepts, en les complétant quelque peu. C’est l’être humain qui ne sait pas qu’il en est un, et tout ce que cela implique, qui pour le personnage de l’auteur antique est voué à la prédation. Or c’est comme si Hobbes oubliait dans les limites de son exercice d’imagination le fait qu’il fait lui même partie du genre humain, et que son imagination est par cela façonnée par le monde qui l’entoure.

L’état de Nature de Hobbes est un état de l’humanité où elle est sans loi, et en guerre perpétuelle contre elle-même, mais il s’agit aussi d’un état de Nature imaginé par quelqu’un qui a toujours vécu dans la loi des États.

Il s’agit d’un état sans lois pensé par quelqu’un qui n’a vécu que dans la loi, et sans le préciser, comme si ironiquement, Hobbes tombait sous le coup de la phrase de Plautus. C’est l’idée d’un état de Nature qui ne peut être que postérieur à l’état de loi qui apparaît en fait.

S’il nous est impossible de savoir le quotidien de l’être humain avant l’instant théorique de l’introduction du contrat social, tout ce que nous pourrons imaginer qui cherche à y ressembler ne peut-être qu’au mieux une approximation teintée des reliefs du monde connu. Hobbes ne peut pas imaginer un état de Nature, car il a toujours vécu sous la loi, ce qui l’influence, car les seuls êtres humains qu’il a eu l’occasion d’observer ont eux même toujours vécu sous le joug de la loi, et qu’ils l’ont intégré à leurs comportements. Le fait que cette vision du monde ait eu un tel impact met la puce à l’oreille : ce que décrit Hobbes, ne serais-ce pas un monde peuplé de gens qui, comme lui le ferait, se comportent comme des gens d’un monde de lois qui auraient perdu, en une fraction de seconde nécessaire à l’imaginer, toutes leurs lois ?

Hobbes annonce ses trois fléaux de la guerre : la concurrence, la défiance, la gloire.

Dans une société où l’idéologie politique dominante est le libéralisme ou le néolibéralisme, c’est à dire où les acteurs politiques et économiques participent activement à la baisse de la régulation légale (notamment au niveau du droit du travail, du commerce ou du droit fiscal) par l’État, on se trouve à mon avis dans la situation que décrit sans le vouloir Hobbes.

Les individus sont mis en concurrence volontairement (pensons à tous les hymnes à la « concurrence libre et non faussée » entonnés en ce moment) pour l’accès à des ressources artificiellement limité par la nécessité du revenu au travers du travail rémunéré, et surtout salarié -l’individu à l’état de Nature n’ayant « qu’a » se servir dans la nature- et par la spéculation boursière. Les individus sont donc précarisés, mobilisé, et mis en concurrence les uns avec les autres pour l’accès au matériel qui leur permet d’assouvir leurs désirs.

La concurrence

                                La concurrence

En résulte qu’ils se défient de ceux qui leur font concurrence, ou, plutôt de ceux qu’ils identifient comme leur faisant concurrence. Ils vont alors se défier de groupes sociaux entiers, vus comme des menaces pour le leur, fragilisé par cette raréfaction des ressources disponibles. Ils se mettront alors à critiquer, éviter, intimider, exclure, insulter, éventuellement agresser ceux qui sont considérés comme un danger. Ainsi le bal des « ils nous volent not’travail » fait valser les racisé.e.s, les femmes, les immigré.e.s, les musulman.e.s, bref, tous ces gens suffisamment semblables pour désirer la même chose que les hommes/blanc.he.s/français.es/chrétien.ne.s…(rayer la mention inutile) sans être assez semblable pour qu’il y ait solidarité. Comme la défiance appelle la défiance, chaque groupe se voit presque machinalement forcé de se replier sur ce que l’on appelle « repli communautaire » chez les pauvres et que l’on appelle pas chez les riches (sauf chez les sociologues qui s’intéressent au phénomène de ghettoïsation des quartiers riches). Les individus passent des alliance avec ceux qui leur semblent suffisamment semblables pour qu’une coopération soit bénéfique à tous ceux qui y participent. Cette concurrence artificielle va donc amener la défiance généralisée, qui se cristallisera en rapports de force déployés selon les axes du pouvoir.

La défiance. (une gated community, à Saskatoon, Canada)

La défiance. (une gated community, à Saskatoon, Canada)

Enfin, la gloire, dernier indicatif de la guerre trouve dans ce climat général le terreau nécessaire à son épanouissement, ressortant au plus fort dans les plus grandes crises d’accès aux ressources. Les actes et discours à la gloire de tel individu, ou tel groupe social ressortant à chaque crise économique en système libéral. C’est dans un tel climat que sont apparus le fascisme et le national-socialisme et qu’ils font un retour en force aujourd’hui. Les suprémacistes, les masculinistes et autres laïcistes (les défenseur.e.s de la « nouvelle laïcité ») sont les tenants de la gloire de la race blanche, des hommes ou de la république.

La gloire. (manifestation de l'English Defense Ligue)

La gloire. (manifestation de l’English Defense Ligue)

La guerre de tou.te.s contre tou.te.s est concomitante du libéralisme et de sa nouvelle version, idéologies toutes deux accordant une place de choix à la concurrence. Il s’agit de l’expression logique de la concurrence pour artificielle et de la dérégulation partielle de la vie sociale pensée par des gens qui cherchent la dérégulation pour, justement, profiter d’un système qui est déjà en leur faveur sans avoir à se soumettre à ses règles. L’état de nature pensé par des gens de loi, qui ont une vision prédatrice des rapports humains, voilà la vraie source de la guerre de tou.te.s contre tou.te.s.

L’idée de renvoyer la guerre au simple fait de l’envisager permet de faire dépeindre à ce vieux concept certains des effets du néolibéralisme économique sur les rapports sociaux, et de poser un nom sur l’ambiance délétère générée par celui-ci. La tension entre les groupes sociaux qui règne dans nos sociétés et nous pousse à nous méfier de toutes et tous s’apparente pour moi à ce que Hobbes décrit par son concept de guerre de tou.te.s contre tou.te.s.

Or Hobbes pensait décrire une dystopie, pas un projet de société. Le fait que certain.e.s le vendent comme tel devrait peut-être nous faire douter de la validité de leur grille d’analyse. Ou nous pousser à l’objection de conscience. Dans la guerre de toutes et tous contre tous et toutes, la meilleure chose à faire est de déserter ou de fomenter la mutinerie.

Bellum omnium contra omnes

J’ai nommé mon blog Contra Omnes en référence au concept de Thomas Hobbes bellum omnium contra omnes. Généralement traduit comme « la guerre de tous contre tous », ce concept philosophique exposé en 1651 dans le Léviathan, est à mon avis tout à fait à même de décrire certaines réalités de la vie sociale, certains pans de l’économie libérale, pour peu qu’on se le réapproprie. Pour moi, ce concept revêt une importance particulière, que j’expliquerais dans cet article, qui présente l’idée et ce qui la rend à mon avis transposable à l’observation de logiques actuelles, et dans un prochain qui expliquera plutôt pourquoi j’en ai fait le titre de ce blog.

Le Léviathan est un ouvrage conséquent tant en termes de volume que d’impact. Il a en effet eu une influence énorme sur la formation de la pensé politique et économique dominante contemporaine et moderne, libérale et rationaliste. C’est de cet ouvrage que vient par exemple la conception largement partagée aujourd’hui selon laquelle l’ « homme est un loup pour l’homme » (homo homini lupus, de la formule de Titus Maccius Plautus, écrivain de la Rome antique, qui dans sa pièce l’Asinaria fera dire à l’un de ses protagonustes Lupus est homo homini, non homo, quom, qualis sit, non novit, (« l’homme est un loup pour l’homme, n’est plus un homme, quand il ne sait pas ce qu’il est »). De là découle en partie la conception théorisée par Adam Smith plus tard selon laquelle l’être humain se comporte selon un mode de pensée rationnel organisé autour de l’intérêt individuel.

Il s’agit d’un traité sur la théorie du contrat social, le contrat imaginaire/symbolique que l’individu passe avec la société lorsqu’il rentre en son sein. C’est à dire qu’il s’agit de penser la logique de l’organisation des êtres humains en sociétés regroupant des multitudes d’individus.

Pour Hobbes, la loi est pivot. C’est la loi qui fait la société, car, en se pliant au contrat social, les individus échangent du pouvoir, de la liberté, contre une protection mutuelle par la force de l’agrégat. Penser l’agrégation en société sous la forme d’un contrat pousse Hobbes à imaginer et décrire le monde social tel qu’il est avant que ce contrat ne soit signé.

Il appelle ce monde social sans contrat social l’état de nature. Dans cet état de nature, les individus ne sont soumis à aucune autre loi que celle de leurs désirs.

Comme les individus sont relativement semblables (ils ont tous besoin de manger, boire, se vêtir, se protéger des intempéries…), ils désireront plus ou moins les mêmes choses. Or celles-ci nécessitent d’employer des ressources naturelles limitées.

Les individus entrent donc en concurrence. C’est la première étape de la guerre -l’état de guerre étant pour Hobbes l’état où les individus considèrent comme une possibilité l’emploi de la force et des armes. Ces individus vont donc devoir se disputer les ressources à disposition pour pourvoir à leurs désirs et besoins.

Or l’être humain est un animal intelligent, il est capable de prévoir à l’avance des événements et de se protéger ainsi contre. Dans un climat de concurrence, les individus vont donc tenter de prévenir la spoliation ultérieure en se méfiant des autres individus, dont ils douteront de la parole et des intentions. C’est là la deuxième étape de la guerre selon Hobbes, lorsque la défiance s’installe entre les individus.

Enfin, pour prévenir toute attaque et par soif de prestige, les individus manifesteront une recherche de la gloire, et chercheront ainsi, par leurs faits et dires, à s’auréoler d’une réputation.

La concurrence, la défiance et la gloire vont faire que, par la ruse et les alliances, les individus se mènent une guerre sans camps, la guerre de tous contre tous.

Le fait que Hobbes ait tiré son concept d’homo homini lupus en tronquant la phrase de Plautus, qui y mettait condition quom, qualis sit, non novit est à mon avis un indice -non perçu par Hobbes- de l’usage que l’on peut faire de ses concepts, en les complétant quelque peu. C’est l’être humain qui ne sait pas qu’il en est un, et tout ce que cela implique, qui pour le personnage de l’auteur antique est voué à la prédation. Or c’est comme si Hobbes oubliait dans les limites de son exercice d’imagination le fait qu’il fait lui même partie du genre humain, et que son imagination est par cela façonnée par le monde qui l’entoure.

L’état de Nature de Hobbes est un état de l’humanité où elle est sans loi, et en guerre perpétuelle contre elle-même, mais il s’agit aussi d’un état de Nature imaginé par quelqu’un qui a toujours vécu dans la loi des États.

Il s’agit d’un état sans lois pensé par quelqu’un qui n’a vécu que dans la loi, et sans le préciser, comme si ironiquement, Hobbes tombait sous le coup de la phrase de Plautus. C’est l’idée d’un état de Nature qui ne peut être que postérieur à l’état de loi qui apparaît en fait.

S’il nous est impossible de savoir le quotidien de l’être humain avant l’instant théorique de l’introduction du contrat social, tout ce que nous pourrons imaginer qui cherche à y ressembler ne peut-être qu’au mieux une approximation teintée des reliefs du monde connu. Hobbes ne peut pas imaginer un état de Nature, car il a toujours vécu sous la loi, ce qui l’influence, car les seuls êtres humains qu’il a eu l’occasion d’observer ont eux même toujours vécu sous le joug de la loi, et qu’ils l’ont intégré à leurs comportements. Le fait que cette vision du monde ait eu un tel impact met la puce à l’oreille : ce que décrit Hobbes, ne serais-ce pas un monde peuplé de gens qui, comme lui le ferait, se comportent comme des gens d’un monde de lois qui auraient perdu, en une fraction de seconde nécessaire à l’imaginer, toutes leurs lois ?

Hobbes annonce ses trois fléaux de la guerre : la concurrence, la défiance, la gloire.

Dans une société où l’idéologie politique dominante est le libéralisme ou le néolibéralisme, c’est à dire où les acteurs politiques et économiques participent activement à la baisse de la régulation légale (notamment au niveau du droit du travail, du commerce ou du droit fiscal) par l’État, on se trouve à mon avis dans la situation que décrit sans le vouloir Hobbes.

Les individus sont mis en concurrence volontairement (pensons à tous les hymnes à la « concurrence libre et non faussée » entonnés en ce moment) pour l’accès à des ressources artificiellement limité par la nécessité du revenu au travers du travail rémunéré, et surtout salarié -l’individu à l’état de Nature n’ayant « qu’a » se servir dans la nature- et par la spéculation boursière. Les individus sont donc précarisés, mobilisé, et mis en concurrence les uns avec les autres pour l’accès au matériel qui leur permet d’assouvir leurs désirs.

En résulte qu’ils se défient de ceux qui leur font concurrence, ou, plutôt de ceux qu’ils identifient comme leur faisant concurrence. Ils vont alors se défier de groupes sociaux entiers, vus comme des menaces pour le leur, fragilisé par cette raréfaction des ressources disponibles. Ils se mettront alors à critiquer, éviter, intimider, exclure, insulter, éventuellement agresser ceux qui sont considérés comme un danger. Ainsi le bal des « ils nous volent not’travail » fait valser les racisé.e.s, les femmes, les immigré.e.s, les musulman.e.s, bref, tous ces gens suffisamment semblables pour désirer la même chose que les hommes/blanc.he.s/français.es/chrétien.ne.s…(rayer la mention inutile) sans être assez semblable pour qu’il y ait solidarité. Comme la défiance appelle la défiance, chaque groupe se voit presque machinalement forcé de se replier sur ce que l’on appelle « repli communautaire » chez les pauvres et que l’on appelle pas chez les riches (sauf chez les sociologues qui s’intéressent au phénomène de ghettoïsation des quartiers riches). Les individus passent des alliance avec ceux qui leur semblent suffisamment semblables pour qu’une coopération soit bénéfique à tous ceux qui y participent. Cette concurrence artificielle va donc amener la défiance généralisée, qui se cristallisera en rapports de force déployés selon les axes du pouvoir.

Enfin, la gloire, dernier indicatif de la guerre trouve dans ce climat général le terreau nécessaire à son épanouissement, ressortant au plus fort dans les plus grandes crises d’accès aux ressources. Les actes et discours à la gloire de tel individu, ou tel groupe social ressortant à chaque crise économique en système libéral. C’est dans un tel climat que sont apparus le fascisme et le national-socialisme et qu’ils font un retour en force aujourd’hui. Les suprémacistes, les masculinistes et autres laïcistes (les défenseur.e.s de la « nouvelle laïcité ») sont les tenants de la gloire de la race blanche, des hommes ou de la république.

La guerre de tou.te.s contre tou.te.s est concomitante du libéralisme et de sa nouvelle version, idéologies toutes deux accordant une place de choix à la concurrence. Il s’agit de l’expression logique de la concurrence pour artificielle et de la dérégulation partielle de la vie sociale pensée par des gens qui cherchent la dérégulation pour, justement, profiter d’un système qui est déjà en leur faveur sans avoir à se soumettre à ses règles. L’état de nature pensé par des gens de loi, qui ont une vision prédatrice des rapports humains, voilà la vraie source de la guerre de tou.te.s contre tou.te.s.

L’idée de renvoyer la guerre au simple fait de l’envisager permet de faire dépeindre à ce vieux concept certains des effets du néolibéralisme économique sur les rapports sociaux

Contre la hippification de la cause animale

Il y a maintenant une paire d’année que je ne consomme plus de produits animaux. Cependant, je ne me sens pas, ou plutôt plus, concerné par le qualitatif « vegan ».

D’abord parce qu’il recouvre une réalité différente de celle de mon engagement. Un gros article lisible ici présente en détail les limites militantes du veganisme. Pour résumer, il s’agit pour moi d’un mot qui renvoie à une prise de position morale, à l’adoption de ce que l’on appelle aujourd’hui un « lifestyle » (comprendre mode de consommation), à une illumination personnelle (« spirituelle » diraient certains), bref, tout un tas de trucs qui cantonnent le vocable à la qualification d’un individu moralement supérieur. Or, c’est à mon avis contre-productif : rebutant pour les observateurs et observatrices extérieur.e.s et bloquant pour les militant.e.s. A s’enfoncer dans une posture morale, on oublie les conditions matérielles de la lutte de pouvoir que l’on prétend mener, en s’interdisant notamment de penser l’anti-spécisme comme un mouvement social et de lui en donner la force d’impact. De plus, l’on en vient à oublier que la seule différence objective entre un.e végétalien.ne et un.e non végétalien.ne est le régime alimentaire. La personne végétalienne n’est pas plus morale, et pourra se montrer tout aussi médiocre que la personne non-végétalienne quand d’autres sujets que la condition animale lui seront présentés, d’autant plus si elle se considère intouchable du fait de son régime.

"c'est l'heure d'évoluer, devenez vegan!" ou l'illustration du problème de la vision individualiste

« c’est l’heure d’évoluer, devenez vegan! » ou l’illustration du problème de la vision individualiste

Ensuite parce que cette atmosphère teintée de morale et d’individualisme fait s’agglomérer les hippies comme du mycélium de psilocybes. Je précise, quand je dis hippie, ça n’est pas à renvoyer au mouvement hippie historique, mais plus aux déboires du New Age.

En effet, on peut le constater sur les réseaux sociaux, ou en discutant avec des végé-e.s, les médecines « alternatives », les « phiosophies » éxotisantes, les régimes santé miracles, les croyances en l’ « énergie », et autres pratiques remise au goût de l’époque par le New Age vont bon train dans cette population. Or ces pratiques correspondent à des doctrines pseudo-scientifiques, récupérant des éléments disparates de la médecine hygiéniste occidentale et de la médecine chinoise, du Taoisme et de l’astrologie, bref, ayant cachet de tradition (faute de mieux) et des éléments inédits introduits par les nouveaux gourous : du cru, du jus, des pierres polies industriellement et extraites dans des conditions atroces par des mineurs en Amérique du Sud, la lutte contre l’autisme/les allergies/le cancer/les intolérances/n’importe quoi qui fait peur, le contenu importe peu… etc.

Allégorie des hippies et de la cause animale

Allégorie des hippies et de la cause animale

« Mais tout le monde ses croyance, mec ! » Me répondrez vous.

Sauf que ce genre de doctrines promettant santé et développement de soi en 12 étapes induit celles et ceux qui recherchent de réelles informations sur la santé humaine, ou sur comment mener leur régime en consommation anti-spéciste, parfois pour remédier à de réels problèmes de santé. Or tenter de résoudre ou de prévenir un soucis de santé en se basant sur des informations, sinon erronées, au moins in-vérifiées, peut mener à de véritables désastres pour les individus qui se reposent dessus. Et comme ces idées et leurs fidèles sont omniprésents sur les réseaux sociaux, où il est parfois interdit de leur porter une critique (comme sur certains groupes facebook, qui préfèrent éliminer toute trace de conflit politique sur leur page), il est pratiquement impossible pour quelqu’un.e qui n’est pas initié à la zététique, au scepticisme scientifique, à décoder les études et les comparer, à remettre en cause ce qui a force d’autorité, de ne pas les intégrer, ne serais-ce qu’en partie, ne serais-ce que par défaut.

Quand j’ai cherché si je devais me supplémenter en vitamine B12 pour tenir mon régime sans produits animaux, je suis d’abord tombé sur des articles me disant que non, que celle présente dans les résidus de terre sur les légumes suffisait, ou que l’on en produisait suffisamment. Et si une amie n’avait pas fait preuve d’esprit critique à ma place, je le croirais toujours. Ici une page de l’Association Végétarienne de France, qui explique tout. En fait un.e végétalien.ne a besoin de compléments en vitamine B12, qui n’est ni produite par le corps ni naturellement présente dans une alimentation entièrement végétale. Or, une carence en vitamine B12 peut avoir de réels effets sur la santé, comme une anémie.

La plupart des végé-e.s présent.e.s sur les réseaux sociaux semblent penser qu’il faut tolérer ce genre de doctrines et la mésinformartion qui vient avec. Mais pour moi, c’est la liberté de chacun.e, et notamment des antispécistes, leur droit à disposer d’une information fiable quand il en va de leur santé, qui est menacée par l’omniprésence des dogmes New Age sur internet.

De plus, ce genre de collusion entre des régimes comme le végétarisme ou le végétalisme -que ceux et celles qui les suivent le font souvent pour des raisons politiques (écologie, antispécisme, anticapitalisme…)- et des idées dogmatiques et anti-scientifiques entretiennent l’idée qu’ils en font partie. Beaucoup de gens voient ces pratiques d’un œil critique car ils les associent, et à juste titre au vu du concret des choses actuelles, avec les hippies New Age, leur sectarisme et leur dogmatisme. Cela rebute donc de possibles adhérent.e.s à la cause animale, qui ne souhaitent pas avoir quoi que ce soit à faire avec des hippies.

"J'aurais bien kiffé devenir végé, mais les hippies ça craint vachement trop!"

« J’aurais bien kiffé devenir végé, mais les hippies ça craint vachement trop! »                                                                                                              

Ces doctrines sont nuisible, à la fois à la santé des individus qui y croient et à la cause antispéciste, lui coupant l’accès à tout un vivier d’individus : celles et ceux qui recherchent une alternative concrète au mode de vie occidental, un moyen d’action politique, économique, écologique pour impacter le monde social et matériel qui les entoure.

C’est donc la seconde raison pour laquelle je renie le vocable « vegan ». Je ne suis pas « vegan », je boycotte l’exploitation animale. Je me fiche de ma santé (mais pour autant j’aime pas la mettre inutilement en danger), je ne suis pas moralement meilleur, et je n’ai rien à faire avec cette conception individualiste et moraliste de la cause, mais surtout je ne veux pas être assimilé aux gourous et aux hippies, et à tous ceux et celles qui tolèrent ou acceptent leur présence, voir cherchent à s’allier avec. Être vegan, pour moi, c’est aussi ça : une posture dissidente qui laisse prise à la hippification de la cause animale au nom de l’individualisme et du droit à l’alternative.

Machiavel écrivait il y a perpèt’ qu’il fallait se méfier de ses allié.e.s quand ils n’ont pas tout à fait les mêmes vues que soi, parce qu’une fois votre ennemi.e commun.e vaincu.e, ils vont tenter de substituer les leurs aux vôtres. Autrement dit, les ennemi.e.s de vos ennemi.e.s ne sont pas toujours vos ami.e.s.

"C'est pas compliqué, wesh!"

« C’est pas compliqué, wesh! »

Autrement dit, si vous voulez lutter pour la cause animale et contre le spécisme, il ne faut pas s’allier avec des individus qui luttent pour l’hygiènisme pondéral, pour la reconnaissance d’idées pseudo-scientifiques, ou pour imposer leur vision religieuse-magique du monde, faute de les voire couvrir votre message, et le brouiller, et pour les partisan.ne.s et pour les autres. « Vegan » est un qualificatif qui porte avec lui toutes ces collusion, ces alliances, ces tolérances, et c’est pour cela qu’il convient à mon avis de l’abandonner au profit d’antispéciste, qui lui, porte plutôt des idées de matérialisme politique et de lutte sociale contre l’exploitation des animaux.

2-Les acteurs et actrices du neuropouvoir (partie 2)

  1. Introduction à la sociologie des neurochimiques :

    Le neuropouvoir

B)Les acteurs et actrices du neuropouvoir (2)

Les créatrices et créateurs de normes

Leur dessein est d’inventer et de chercher à instituer les normes, ici celles liées aux neurochimiques.

L’utilisation de neurochimiques dans une société donnée est entourée de norme sur ce qu’il convient et ce qu’il ne convient pas de faire. Howard Becker, dans Outsiders, traite de la déviance et des normes. Pour lui, toute norme doit être créée et instituée, puis défendue pour être effective et être qualifiée de norme. Nous nous intéresserons ici à ceux qui les conçoivent puis les portent vers le pouvoir.

Ils vont être très divers dans le temps et l’espace, puisque contrairement à la criminalité internationale, par exemple, ils existent depuis très longtemps. Dans le deuxième volume de l’Histoire de la sexualité, L’usage des plaisirs, Michel Foucault constate que dès la Grèce Antique, des discours sur l’usage optimal du vin sont courants, de nombreux philosophes ayant leur avis sur la question.

Les créateurs et créatrices de normes vont définir l’ensemble de ce qui est souhaitable, raisonnable, tolérable et de ce qui ne l’est pas en matière de consommation de neurochimiques. Elles vont définir ce qui sied à chacun selon sa classe, son genre, etc. Elles vont produire une différenciation sociale des neurochimiques, les classer selon leur usage et leur acceptabilité, indiquer les doses qu’il convient de prendre et celles qui ne le sont pas, les modes de prises à observer et le contexte le plus propice à la prise.

Dans les détails, les normes que les individus adoptent présentent des tendances, mais sont plutôt divergentes dans les détails, comme l’âge exact où il convient d’essayer l’alcool dans les sociétés occidentales, qui changera d’un individu à l’autre tout en restant généralement entre 12 et 18 ans. Pour autant avancer ses propres variantes des normes sur les neurochimiques ne fait pas de l’individu une créatrice ou un créateur de normes, il faut pour cela qu’il cherche activement à les faire appliquer à un niveau dépassant sa propre conduite et celle de ses proches, et à les faire reconnaître par le reste de la société.

L’exemple cité par Becker est le mouvement des femmes pour la prohibition de l’alcool au début du XXe siècle, qui vont lutter jusqu’en 1919 où l’alcool est interdit aux États-Unis par le Volstead Act. Elles considèrent que l’alcool est un danger social qu’il convient de ne pas consommer et de bannir de la société. Celui-ci sera abrogé en 1933 entre autre du fait de l’action de groupes, comme l’Association Agains the Prohibition Amendment Act, qui vont lutter pour le rétablissement de la vente légale d’alcool. Mais on peut aussi voire un type complètement différent de créateur ou créatrice de norme, avec par exemple les chamanes amérindiens qui vont définir dans les détails la façon de préparer et consommer des hallucinogènes et le rituel qui doit lui servir de contexte, et la raison de le réaliser, et leur opposer les conquistadors espagnols qui cherchèrent à éliminer ce genre de pratiques qu’ils considéraient impies. Pour donner un dernier exemple, plus contemporain : les médecins qui cherchent à définir des protocoles de désintoxication des opiacés par la pratique de la substitution ou ceux qui tentent d’établir le volume d’une consommation d’alcool ne portant pas atteinte à la santé.

Comme l’on peut voir, les créatrices et créateurs de normes diffèrent trop entre eux pour qu’il soit à mon avis possible de les séparer en catégories pertinentes : chaque mouvement social de ce type portes des normes très précises, et toujours en rapport avec un contexte social. Il faut considérer plus cette catégorie d’acteurs comme celle de mouvements plus où moins éphémères qui vont apparaître et disparaître en permanence que comme des populations relativement stables, comme celle des consommateurs et consommatrices de stupéfiants. Becker note, et c’est à mon avis important, que plusieurs groupes peuvent se relayer pour porter la norme au fur et à mesure qu’elle progresse dans son établissement (le cas échéant), et que celles et ceux qui créent et portent en premier la norme ne sont souvent pas les mêmes que celles et ceux qui décident de la façon concrète dont elles va s’appliquer (dans nos sociétés, le premier groupe peut être composé de façon variable d’association(s), entreprise(s)… là où le second correspond aux élu.e.s, aux législateurs et législatrices).

Les défenseur.e.s des normes

Les défenseur.e.s des normes ont pour dessein de faire appliquer les normes portées par les créatrices et créateurs de normes. Les défenseur.e.s vont être également très variés et très différents, mais sensiblement moins que les créateurs et créatrices.

Encore une fois, si chaque individu va défendre sa vision des normes et tenter de la faire appliquer s’il en a le pouvoir, il ne l’a généralement pas à moins de le détenir d’une institution. La police et la gendarmerie sont des défenseur.e.s des normes par excellence.

Dans les pays occidentaux contemporains, les défenseur.e.s des normes sont la police, y compris celles à pouvoir international, comme le FBI ou Interpol, les médecin et psychiatres, par leurs prescriptions et, pour les psychiatres, leur pouvoir sur l’internement. Au sein de certaines administrations, d’autres auront un tel pouvoir, comme les chargés de surveillance dans les internats pour mineur.e.s ou prisons, par exemple. Mais il faut y ajouter les services sociaux divers, les juges et jurys, les surveillant.e.s de collèges et lycées, l’armée (comme dans les camps nazis, où les drogué.e.s et alcooliques portaient le triangle noir) et, potentiellement, toute structure ayant un droit de regard et une capacité de contrôle, soit un pouvoir effectif sur les individus. En effet, la question des neurochimiques étant particulièrement récurrente dans la vie des individus et dans la politique à tous ses niveaux, et pouvant se manifester de différentes façons, les institutions vont fréquemment intégrer et appliquer des normes en rapport. Par exemple, dans des lycées, ou colonies de vacances, ou toute institution venant à prendre plus ou moins en charge des adolescents, il y a, sinon des règles écrites (en plus de la législation du pays, comme sur un règlement intérieur), des règles au moins officieuses sur ce qui est interdit (généralement tout, sauf les médicaments prescrits ou des produits de consommation courante contenant des neurochimiques, comme le thé ou le café) et sur la sanction correspondant à une infraction à ses règles. Un.e jeune qui introduit une bouteille de vodka ou une barrette de hachisch en colonie de vacance et qui se fait prendre avec par un.e employé.e de la colonie, risque fort d’être renvoyé.e du lieu.

Becker met en relief le fait que cette catégorie d’individus a un rapport très différent de celui de la catégorie précédente aux normes. En effet, ils appliquent les normes, et il s’agit de leur métier (ce qui leur donne la légitimité et l’autorité nécessaire pour ce faire). Les défenseur.e.s des normes vont donc avoir à appliquer des normes différentes pour une même réalité au cours du temps, et sont donc moins attachés à ces normes elles-mêmes qu’au fait de faire respecter les normes, les lois, sans regard pour les détails de leur contenu.

Les États et autres structures de gouvernance :

Les États-nations et autres structures de gouvernance vont elles aussi être très liées aux jeux de pouvoir autour des neurochimiques, avec pour dessein de protéger l’intérêt commun, national ou international -du moins tel que défini par ces structures. Cette catégorie comprend aussi des structures supra-nationales, comme l’ONU, mais aussi toutes les instance locales des structures plus larges.

Ces structures vont agir à l’intérieur de leur territoire et à l’extérieur.

A l’intérieur du territoire concerné par leur mandat de gouvernance, elles vont chercher à contrôler le marché des neurochimiques en vue d’intérêts prédéfinis. Ceux-ci peuvent être de plusieurs ordres, qui généralement cohabitent et se chevauchent : de l’ordre de la souveraineté territoriale, de l’ordre de la sécurité intérieure, de l’ordre de la régulation économique, de l’ordre de la santé publique ou de l’ordre de l’ordre public.

Les actions concernant la souveraineté territoriale, généralement nationale, ont pour but de renforcer le mandat de gouvernance de la structure sur son territoire et d’empêcher d’autres structures de tenter de lui disputer cette gouvernance. Il va s’agir dans le cadre du neuropouvoir d’actions visant à contrer une ingérence étrangère par infiltration d’une économie souterraine, à éliminer des organisations de trafiquants qui menacent par leur pouvoir celui de la nation ou alliance de nation, ou à renforcer les lois permettant de les condamner, mais aussi de désigner les substances autorisées et interdites.

Celles concernant la sécurité intérieure vont viser à protéger les biens et personnes matérielles dont la protection est à charge de la structure de gouvernance. Il va s’agir d’empêcher que les activités s’agglomérant autour des neurochimiques, surtout illégaux, ne portent atteinte à des biens et personnes n’y étant pas impliqués.

Les actions sur l’économie vont tendre à lier la gouvernance à l’économie des neurochimiques, selon diverses modalités. Les structures vont chercher à influer sur l’économie légale, en cherchant à en stimuler ou limiter la vente, comme avec le tabac, en France, dont on augmente régulièrement le prix dans le but de limiter la demande, ou en fixant les prix ou les taxes, par exemple.

Le domaine d’action de la santé publique va englober toutes les politiques visant à améliorer l’état de santé de la population. Vont rentrer dedans la plupart des politiques concernant les neurochimiques médicaux, mais aussi les politiques publiques de réduction des risques ou d’aide aux consommateurs, ou encore les régulations pour raison de santé des neurochimiques légaux.

Enfin, celui de l’ordre public va plutôt se porter sur le maintient d’un ordre moral, politique et social. Il est un peu mis à l’écart actuellement par rapport aux autres, mais demeure bien présent. Il va s’agir de contrôler que les individus se comportent de la manière attendue, de limiter la visibilité de certains neurochimiques ou la prise de parole à leur sujet, ou de réprimer les atteintes à l’ordre et à la tranquillité (comme le tapage nocturne en état d’ébriété).

A l’extérieur du territoire, les structures de gouvernance vont agir de deux principales manières, elles aussi pouvant se confondre : par coopération ou par ingérence.

Le mode de la coopération correspond aux actions qui se font avec la ou les structure(s) de gouvernance du territoire concerné. Cette coopération peut être plus ou moins volontaire, plus ou moins imposée. Il peut s’agir d’une aide sur demande pour juguler une organisation narco-trafiquante, de ratifier et faire respecter les traités internationaux, de participer à la régulation des neurochimiques et à leur législation, de prévoir une taxation pour les neurochimiques légaux à l’import/export, de s’entraider dans la recherche scientifique, etc.

Le mode de l’ingérence correspond aux actions qui se font sans la coopération de la ou les structure(s) de gouvernance du territoire concerné. Cette ingérence est parfois illégale au regard du droit international, mais pas obligatoirement. Rentrent dans cette catégorie les occupations militaires, les pratiques de renseignement, la participation aux jeux de pouvoir souterrains ou des tentatives de contrainte sur d’autres structures de gouvernance.

Les entreprises et industries :

Les entreprises et industries ont pour dessein l’accroissement de leur capital économique.

Il s’agit d’entreprises, groupements d’entreprises et chef.fe.s d’entreprise qui ont partie liée dans les jeux de pouvoir autour des neurochimiques.

On peut à mon avis différencier deux grands modes d’action pour les entreprises et industries : elles agissent généralement dans le registre de la légalité, mais aussi parfois dans celui de l’illégalité, employant couramment le premier pour masquer le second.

Dans le registre légal se trouvent toutes les actions en rapport avec les neurochimiques de ces entreprises et industries qui respectent les lois. Le fait de produire, vendre et acheter des neurochimiques fait partie de ce registre pour les industries du tabac, de l’alcool ou des médicaments psychotropes, tant qu’elles respectent les conventions les concernant. Il peut y avoir un règlement interne à l’entreprise sur les neurochimiques et leur usage par les employés, ou l’entreprise peut en mettre à disposition de ses employés (café). Elles peuvent aussi produire de la publicité, à moins que cela soit interdit, investir en bourse sur des produits neurochimiques, faire du lobbying politique, ou encore financer la recherche scientifique.

Dans le registre illégal, les activités sont plus variées car elles concernent moins précisément les branches de l’industrie censées être en rapport avec les neurochimiques. Ainsi, les banques ou des entreprises variées peuvent aussi y participer, en acceptant de l’argent blanchi, ou en blanchissant de l’argent provenant de ventes illégales de neurochimiques. Des entreprises peuvent se servir de leur statut légal pour fournir à certains membres l’occasion de participer au marché illégal des stupéfiants. Mais leur champ d’action est très large : corruption, fraude à la recherche, publicité mensongère, trafic d’influence, rétention d’information, fraude fiscale, conflits d’intérêts, infractions au code du travail…

Les expertes et experts en neurochimiques :

Dernière catégorie que je présenterais ici, celle des expert.e.s en neurochimiques. Il s’agit d’individus dont le dessein est de connaître les neurochimiques.

Il peut s’agir d’individus venant de milieux très variés, avec une formation ou non, et qui peut être de différents types, s’exprimant publiquement ou non, et ce sur diverses plate-formes, et qui seront écoutés ou non.

On peut y faire entrer : les scientifiques et spécialistes associés (toxicologues, addictologues, chimistes, mais aussi psychiatres, neurologues, psychologues, économistes), les spécialistes à légitimité empirique (usag.ers et usagères ou ex-usagers et ex-usagères ou parent de, membres des forces de l’ordre, travailleurs sociaux, chamanes, journalistes, juristes) et les non-spécialistes (« expert.e.s » télévisuel.le.s, femmes et hommes politiques, chef.fe.s d’entreprises).

De même, on peut les différencier selon qu’ils ou elles prennent la parole publiquement : soit jamais (expert.e.s souvent empiriques dont les connaissances ne servent qu’à leur usage et celui de celles et ceux qu’ils et elles souhaite en faire bénéficier), soit sur des plate-formes légitimes médiatisées (grandes chaînes de télévision, de radio, manifestations publiques, grands journaux et revues scientifiques ou éditions de renom, ou sites internet connus et autres réseaux sociaux), soit sur des plate-formes légitimes peu ou non médiatisées (débat interne en parti politique, médias peu connus et peu publicités, recherche en entreprise, espaces politiques offrant prise au lobbying, ou, pour le chamanisme amérindien, son statut dans la tribu), soit sur des plate-formes illégitimes (espaces politiques offrant prise au lobbying illégal, sites internet de consommatrices et consommateurs dédiés aux neurochimiques et/ou au psychonautisme,ou les sites de vente de neurochimiques illégaux).

Enfin, les expert.e.s trouveront plus ou moins d’audience pour entendre leurs connaissances, ce qui les différenciera dans l’impact qu’ils et elles auront. De même, la constitution de cette audience est elle aussi importante, selon que des fonctionnaires plus ou moins haut placé.e.s, des spécialistes plus ou moins renommé.e.s, des entreprises plus ou moins puissantes, ou des particuliers et particulières plus ou moins influentes s’y intéressent, le message de l’expert.e pourra ou non avoir des répercussions concrètes sur les jeux de pouvoir autour des neurochimiques.

Note sur l’emploi du langage épicène

Je voulais faire une petite note rapide sur le mode spécial d’écriture que j’emploie dans ce blog, ou tout du moins que je m’efforcerais d’employer, ne m’y étant mis que depuis peu.

Les habitué.e.s connaîtront mais il s’agit d’un mode linguistique encore peu connu: le langage épicène, ou grammaire non-sexiste. Il s’agit de rendre compte de présence des femmes au sein de groupes pluriels par le biais d’une utilisation adaptée de la langue.

Pour les puristes réticent.e.s de la grammaire, voici un article d’A.C. Husson qui traite en long, en large et en travers du sujet, pointant notamment du doigt que le fait qu’au pluriel, en français, l’accord se fasse au masculin en cas de groupe mixte, est une règle récente et sexiste. Elle date du 16e siècle, et est justifiée ouvertement par une conception voulant que le masculin soit plus noble que le féminin et est donc totalement arbitraire.

J’ai pris plusieurs façons d’écrire, trouvées ici et , et j’ai tenté de proposer un mode d’écriture cohérent.

Je favorise donc les formulations épicènes, mais si ce n’est pas possible, j’accorderais en genre les adjectifs, pronoms et verbes soit:

-Selon le dernier mot, pour des groupes mixtes.

-Selon le genre dominant dans le groupe, si la domination est majoritaire à l’excès. Comme je parle parfois de milieux très masculins, comme les mafias, je préfèrerais employer le masculin. A l’inverse, si j’avais à traiter des assistantes en puériculture (97% de femmes dans la profession), j’emploierais le féminin.

-Si je dois donner des noms de fonctions au pluriel, soit j’écrirais, si les écritures sont différentes, l’ensemble des termes au féminin et au masculin (ex: les consommatrices et consommateurs), mais le point médian là où les orthographes et sonorités diffèrent peu (ex: les allié.e.s).

Il s’agit d’un bricolage un peu expérimental, alors je suis prêt à prendre toute critique constructive sur la question. Je souhaite essayer d’arriver à maîtriser à peu près ce mode d’écriture, et toute remarque peut être bonne à prendre pour améliorer mon usage de la grammaire épicène.

Les hippies et les fafs, l’improbable rencontre

Note: Avant que toute confusion se fasse, je voulais faire une petite précision, comme je ne parle pas des régimes alternatifs de façon très positive ici. Il ne s’agit pas d’une charge contre les nouveaux modes de consommation, qui dépassent très largement les sphères sociales que j’évoque plus bas. Je suis moi-même ravi du goût qui semble se créer pour la recherche d’alternatives, mais je pense qu’il faut sérieusement l’encadrer afin qu’elle ne débouche pas sur des dérives fascistoïdes, sexistes ou sectaires, et que cette recherche se fasse ainsi en vue du plus grand bien de tous. Toute innovation n’est pas bonne à prendre.

En zonant sur le net à la recherche d’informations sur des gourous new age modernes, je suis tombé sur une merveilleuse page internet. Sur le site d’Égalité et réconciliation, une vidéo de Thierry Casasnovas sur l’innocuité du cancer. Tout ce que je déteste réuni en un package ultime, genre Connard Premium Deluxe. Ça m’a de suite donné envie d’écrire dessus.

Tu "as" un cancer? Lol t'as cru tout ce que les médias racontent, toi

Tu « as » un cancer? Lol t’as cru tout ce que les médias racontent, toi

Je ne compte pas faire ici un article de scepticisme scientifique, mais plutôt parler des affinités dogmatiques et pratiques entre l’extrême droite nationale-socialiste et les doctrines new age actuellement en vogue.

Rue 89 a publié deux très bons articles (ici, et ) sur le sieur Thierry, les dogmes dont il se réclame, et qui pointent du doigt tant le fait que ses méthodes thérapeutiques que sa vision de l’activité économique sont pour le moins douteuses . Je me contenterais donc de signaler qu’il base ses idées sur la naturopathie et la médecine hygiéniste, deux disciplines considérées comme pseudo-scientifiques, et, non pas, comme semblent le penser les commentateurs d’E&R, parce que la médecine officielle les a banni, mais parce qu’elles ne se basent pas sur la méthode scientifique : proposer une hypothèse réfutable, mettre en place une expérience visant à pouvoir la réfuter, la modifier au besoin au vu des résultats de l’expérience. Or si la naturopathie dispose d’une certaine audience et quelques études allant dans son sens (bien qu’elles soient discutées), l’idéologie hygiéniste a été abandonnée par l’ensemble du monde médical, et décriée par lui.

Oh, et au passage, l’hygiénisme, c’est aussi la doctrine qui préconisait l’interdiction de la masturbation et des rapports sexuels, l’infibulation, la circoncision prophylactique et les ceintures de chasteté comme prévention et l’excision ou l’internement comme punition. Alors quand j’ai noté que sa conclusion présentait comme un facteur de cancer une « sexualité compulsive », ça m’a un peu fait grincer les chicots, t’as vu. J’aime pas trop qu’un type qui se réclame d’un ordre médical passéiste avec une forte propension à la mutilation génitale me donne des conseils sur que faire dans mon pieu. Et encore moins en faisant peur au gens avec des idées farfelues diabolisant la sexualité (il n’existe bien sûr aucune étude montrant que les rapports sexuels sont générateurs de cancers).

Du reste, la réponse à son droit de réponse de Rue 89 cite notre poteau qui s’exprime dans une vidéo de trois heures de questions/réponses, et nous offre à contempler l’ampleur du drame, qui, je pense, se passe de commentaires :

Sisi t'inquiète. Repousse de bras, de tête, soigne de Parkinson, toussa...

Sisi t’inquiète. Repousse de bras, de tête, soigne de Parkinson, toussa…

Ce qui m’intéresse, c’est que c’est sur le site du poteau Soral que sont diffusés les conseils cancer de Tierry. Et il ne s’agit pas d’un article isolé. « Casasnovas » renvoie à 8 articles sur le moteur de recherche de la droite des valeurs, dont 6 écrits par Thierry en personne (dont celui dont je parle au dessus), un entretien (complaisant) et deux sur une conférence, Alerte à la Santé.

Alerte à la Santé, conf’ qui a eu lieu le 28 février 2014, où on retrouve aussi Corinne Gouget, qui était (j’écris au passé car elle s’est suicidée en juin 2015) elle aussi à la bien avec la droite des valeurs, anti-vaccination et candidate de la Ligue antisioniste aux européennes de 2009. Elle aussi déconseillait la chimio aux cancéreux, elle aussi critiquait la « médecine officielle » pour pousser les gens vers les « alternatives » de ses collègues. Sa spécialité était l’utilisation d’enfants comme moyen de faire valoir ses idées.

Gilles Lartigot, auteur de EAT est aussi invité. Il ne s’est formulé ni contre les vaccins ni contre la chimiothérapie. Toutefois, j’ai remarqué quelques éléments louches. Le premier est une conférence sur le thème de l’alimentation, sur le flyer de laquelle l’on peut voir qu’il reverse la moitié des bénéfices de cette conférence à une église parisienne, où elle a lieu, qui consacre des sacrements aux animaux (non pas que j’ai quelque chose contre la cause animale, mais ceci dénote d’une certaine conception de cette cause). Des phrases sont mis en « bleu blanc rouge » dans ses affiches. Sur son Facebook, des vidéos avec Casasnova, mais aussi des liens vers un entretien de 3 heures de lui réalisés par la chaîne soralienne MetaTV (Soral s’est brouillé il y a quelques temps avec la chaîne, mais relayait ses vidéos auparavant, leurs lignes politiques étant similaires), qui d’ailleurs fourni aussi à Casasnovas un podium pour exposer ses idées.

Enfin, Claire Séverac, est une sorte de VIP reconvertie dans la lutte contre le Complot mondial contre la santé, titre de son livre que l’on peut trouver sur la librairie en ligne KontreKulture, celles de Soral. Elle aussi a d’autres occurrences sur E&R.com, où elle est autrice. On peut y voir notamment une interview qu’elle a donné sur les chemtrails. Sur son site, sans surprise, encore de l’anti-vaccin, de la promotion de l’homéopathie, et tout le tintouin.

A noter qu’au moins deux de ces 4 zigotos, Casasnovas et Gouget ont été dans le collimateur de la Mivilude, l’autorité étatique qui s’occupe des sectes.

Les liens entre l’extrême droite et les doctrines new age est même consacré par le site matricien.org, qui présente l’idéologie matricienne. A mi-chemin entre l’extrême droite, se réclamant de Soral (encore surpris.e?), les masculinistes et les hippies new age, les matriciens pensent que l’être humain doit vivre en matriarcat (non, ce n’est sûrement pas une idée féministe, enfin peut-être pour d’autres gens, mais pas ici, vraiment pas). C’est à dire dans une société matrilinéaire, qui permette un foyer familial stable. Et qui soit différente du patriarcat (là aussi le concept n’a rien à voir avec ses contreparties féministes), ou chaque femme appartient à un tuteur masculin, afin qu’elles soient libre de se faire draguer. Comme ça la Famille se met bien, et surtout les keums qui peuvent draguer et kéni comme bon leur semble. On peut résumer leur sale trip de schlags cramés comme suit :

Projet de t-shirt matricien. Oui, c'est raciste aussi.

Projet de t-shirt matricien. Oui, c’est raciste aussi.

C’est la revendication du conservatisme familial conjugué à la libéralisation des mœurs sexuelles (des hommes) et érigés en doctrine politique. Y a même un article pour apprendre à sauver toi-même la Famille de France, avec un schémas qui tue:

On notera le romanesque du petit cœur et du spermatozoïde. Fabuleux.

On notera le romanesque du petit cœur et du spermatozoïde. Fabuleux.

En bref, l’idée c’est de faire des femmes un bien commun sexuel tout en leur laissant toute la charge du foyer. Dans un article topissime, Jules Falquet pose d’après de nombreuses études que, selon elle : « une des tendances de la mondialisation néolibérale consistait à glisser d’une appropriation privée des femmes par les hommes, à une appropriation collective ». Le mot est posé, c’est « néolibéralisme ». Il transparaît également dans le livre L’ésotérisme contemporain et ses lecteurs de Claudie Voisenat et Pierre Lagrange, quand ils qualifient l’ésotérisme contemporain, par opposition aux sciences occultes qui le précèdent de « forme conquérante de l’individualisme de masse ». C’est encore ce mot qui revient lors de l’observation des activités tant des gourous de l’extrême droite, comme Alain Soral et que l’on pourrait apposer aux nombreux gourous, notamment alimentaires qui pullulent sur internet.

En fait, toute la logique de ces individus à priori très différents est très similaire. On a une réification de l’individu, et surtout de certains, qui font office de guides à la populace éclairée par leur lumière, proposent la vente de produits et services et/ou font de la publicité pour de telles choses. Ils proposent tous une tradition revue , ou plutôt relue (comme redécouverte), que ce soit en matière d’alimentation, d’économie ou de conception des rapports hommes-femmes, qui serait plus naturelle, plus saine, plus authentique alors qu’elle renvoie à des pratiques et idées plutôt récentes.

Les hippies comme les masculinistes, et comme les soraliens, proposent tous des visions essentialistes des femmes et des hommes. Ils vont tous proposer un retour aux « sources », à la « nature » (Soral tient une boutique bio en ligne, accessible depuis E&R.com). Ils vont tous promouvoir un modèle se voulant alternatif sans l’être. Ils vont tous user de pensée magique et invoquer le complot. Et dans les faits, les mouvements sus-mentionnés sont réellement perméables, offrant les uns avec les autres des prises idéologiques concrètes. Ainsi, un sondage indique que les membres du Front National sont plus sensible à la cause animale. De même, sur les groupes facebook liés aux régimes new age il n’est pas rare de voir des posts racistes (insultant les Chinois et les Japonais par exemple, supposés être les pires exacteurs de la cruauté envers les animaux), ou reprenant des thématiques marquées (très) à droite. Une campagne masculiniste compare le fait de dire aux hommes d’arrêter de violer au fait de dire aux immigrés d’arrêter de voler. Et ainsi de suite…

On assiste à une espèce de syncrétisme reprenant des éléments disparates du néolibéralisme (exploitation des femmes, rejet des racisé.e.s, mercantilisme, culte de l’élite…), exacerbés et transformés en éléments de distinction idéologique et morale, et même recomposés en doctrines spécifiques, comme transformant des éléments bruts de l’idéologie ambiante en une forme acceptable pour des individus se réclamant de la dissidence et de l’alternative.

Ce que je voulais démontrer, c’est que ces trois types d’idéologie qui cherchent toutes à séduire celles et ceux qui sont à la recherche d’une alternative au mode de consommation et à la politique actuellement en vogue, leurs proposent en fait un condensé radicalisé d’idéologie dominante. Ces connexions et connivences devraient mettre la puce à l’oreille quant à la réalité que ces doctrines recouvrent et amener à les considérer pour ce qu’elles sont : un fatras de lieux communs à la véracité tremblante porté par une alliance disparate et camouflée d’individus proche de l’extrême droite aux pratiques économiques néolibérales et peu scrupuleuses.

 

2-Les actrices et acteurs du neuropouvoir (partie 1)

  1. Introduction à la sociologie des neurochimiques :

    Le neuropouvoir

B)Les acteurs et actrices du neuropouvoir

Les actrices et acteurs qui prennent part aux jeux de pouvoir entourant les neurochimiques sont très nombreux, aujourd’hui et dans le temps. Des individus, organisations et institutions aux rôles, aux moyens et aux discours très différents, et qui interagissent de façon complexe les uns avec les autres.

On peut les séparer en catégories distinctes selon leur dessein général :

-Les consommateurs et consommatrices et leurs organisations.

-Les alliés des consommateurs et consommatrices et leurs organisations

-La criminalité locale.

-La criminalité nationale et internationale.

-Les créateurs et créatrices des normes.

-Les défenseurs et défenseures des normes.

-Les États et autres structures de gouvernance.

-Les entreprises.

-Les expertes et experts en neurochimiques.

Il serait sûrement possible d’en établir d’autres, mais à mon avis la majorité des cas de figure que l’on pourrait observer présentent des actrices et acteurs que l’on peut ranger dans ces catégories. Mais il s’agit surtout de catégories grossières, qui listées ainsi rendent difficilement compte de la complexité de la réalité qu’elles sont censées couvrir.

Si ces groupes ont un dessein vaguement commun, il faut bien comprendre que les buts exacts et les moyens pour les atteindre, mais aussi les statuts, paradigmes et place dans les luttes de pouvoir sont extrêmement variables à l’intérieur même de ces catégories. Elles ne sont donc ni unies ni uniformes, bien qu’on puisse parfois observer des tendances, et peuvent présenter autant de conflit et de désaccords avec d’autres acteurs et actrices de leur propre catégorie qu’avec des acteurs et actrices d’une autre. De même, certains acteurs et actrices, et institutions peuvent appartenir à plusieurs catégories à la fois, comme les mafias, qui présentent toujours une vitrine légale, et pratiquent et le racket des commerces locaux et le trafic international de stupéfiants, et portent donc trois casquettes.

Je vais maintenant développer un peu ces catégories, et expliciter les desseins que je leur impute.

Les consommatrices et consommateurs et leurs organisations :

Ils ont pour dessein commun l’approvisionnement et la prise de neurochimiques.

Les consommatrices et consommateurs peuvent être très différents les uns des autres, selon leur statut dans la société, la société large et les groupes réduits dans lesquels ils évoluent, le neurochimique qu’ils consomment et son appréciation morale par autrui, mais aussi dans leurs buts, le façon de vivre et de voir la consommation des différents neurochimiques.

On peut ainsi les diviser en classes sociales et professions, selon leur niveau de vie et de revenu, en termes de genre et d’orientation sexuelle, selon les origines nationales et ethniques, selon l’âge, toutes les caractéristiques qui se rencontrent chez tout un chacun, et qui produisent des clivages parfois important. Par exemple, si l’on prend la distinction de genre, les femmes tendent à consommer, en France, significativement plus de neurochimiques d’origine médicale (23% de prise dans l’année, contre 13 pour les hommes d’après une expertise collective de l’INSERM de 2012), comme les antidépresseurs et les anxiolytiques, là où les hommes vont être beaucoup plus consommateurs d’alcool et de stupéfiants pour l’alcool, d’après Palle C., « Alcool » dans OFDT, Drogues et addictions, données essentielles, les homme publié en 2013, les hommes sont trois fois plus consommateurs quotidiens que les femmes).

Les sociétés humaines ne proposent pas toutes la même vision des neurochimiques et de la répartition de la légitimité parmi eux. Par exemple, la possession de cannabis est légale en Uruguay et peut être punie de mort en Malaisie, ce qui change quelque peu les conditions d’utilisation et la vie des consommateurs, mais aussi l’image qu’en ont les individus. De même, à l’intérieur d’une même société, des groupes vont se distinguer. Pour donner encore un exemple caricatural, fumer un joint de cannabis à moins de chance de vous valoir de remarque si vous le faites entouré de ravers qu’avec des amis gendarmes. Le la consommatrice ou le consommateur va donc être fortement influencé par sa société et son environnement social direct.

Ils se distingueront aussi selon les substances qu’ils consomment, qui possèdent, outre ce qui découle de leur statut social, des caractéristiques propres. Selon qu’elles provoquent ou non une dépendance physique, selon la force et la durée du syndrome de sevrage, selon leur toxicité et neurotoxicité, mais aussi selon les effets qu’elles provoquent et les usages qui peuvent en découler. Bien que la méthamphétamine soit illégale dans la plupart des pays occidentaux, ses caractéristiques fortement stimulantes font qu’elle est souvent qualifiée de et utilisée comme drogue de travail, pour réaliser des tâches pénibles, ou les faire plus vite, ou ne pas dormir, par exemple, là où la salvinorine A, neuroleptique surpuissant de courte durée, plutôt incapacitante, ne peut pas vraiment servir un tel dessein. La quantité de substance et le mode de consommation font également office de fort distinguant, traçant des limites entre les différents types d’utilisateurs d’une même substance.

Enfin ils vont intégrer différemment leur consommation à leur identité sociale. Les consommateurs seront donc aussi variables dans l’important que leur consommation à dans leur vie, de l’avis qu’ils ont dessus et sur les consommations des autres. Leur paradigme d’appréhension des neurochimiques différera donc.

Les consommateurs et consommatrices s’organisent et le font selon diverses modalités.

Ils peuvent :

-Avoir un cercle de connaissances consommatrices et/ou participer à des événement culturels et/ou sociaux où les neurochimiques ont une importance particulière. Un groupe d’amis et amies consommatrices et consommateurs proches, par exemple sera propice à l’apparition d’une identité de groupe spécifique, avec ses codes, ses valeurs, et bien sur ses habitudes de consommation en matière de neurochimiques. De même, l’intégration dans son identité de l’appartenance à des groupes plus larges, comme celui des ravers, ou de la délinquance juvénile, va moduler la consommation des individus.

-Participer à des activités, institutionnalisées en associations ou non, de prévention et de réduction des risques est une forme d’organisation spécifique des consommateurs de neurochimiques. Il peut s’agir de divulgation de connaissance, de mise à disposition de matériel propre, de conseils de consommation à la mise en place de tests d’alcoolémie ou de pureté des stupéfiants, pour les rave parties par exemple. Il s’agit de réduire un maximum les dangers entraînés par la consommation de certains neurochimiques, pour les consommateurs et pour les autres. Ces stands sont aujourd’hui présents aussi bien dans les fest-noz bretons que dans les free parties, mettant leurs services à disposition des consommatrices et consommateurs, qui eux-même investissent couramment cette place, bien que ce ne soit pas systématiquement le cas.

-S’agglomérer en conglomérat d’individus juxtaposés mais sans qu’il n’y ait nécessairement liaisons entre eux, lorsqu’ils vont participer volontairement à des études, sondages, où à des votes. On peut penser à l’initiative européenne pour la légalisation du cannabis, Weed like to talk, qui recueille des voix pour la légalisation du cannabis par une politique coordonnée au niveau européen.

-Former des organismes de défense et/ou de réunion des consommateurs. Comme pour des consommatrices et consommateurs d’un quelconque autre produit, que ce soit les miniatures de collection ou les produits cosmétiques, les consommateurs et consommatrices de stupéfiants vont s’organiser en groupes plus ou moins institutionnalisés pour se regrouper et éventuellement travailler à la défense d’un intérêt commun. On peut penser aux Cannabis Social Clubs, qui cherchent à réunir les consommatrices et consommateurs de cannabis pour qu’ils puissent se rencontrer et échanger, mais qui portent souvent une forte charge militante, dans le partage d’information notamment. Des magazines comme Soft Secrets, qui parlent de culture, des actualités du cannabis, mais aussi qui servent de support à la promotion/réclamation de la légalisation ou de la dépénalisation, la Cannabis Cup, sorte de championnat mondial des variétés de marijuana, ou des manifestations comme celle qui a eu lieu le 9 mai en France pour demander un débat sur le statut légal de la plante. Les autres consommateurs développent aussi des organisations de ce type, ainsi, le site de l’association Fibromyalgiesos, association de patients et patientes fibromyalgiques, propose sur son site une page « traitement médicamenteux » qui liste les traitements (dont certains à base de psychotropes) qui peuvent à leur avis être employés, et propose un numéro indigo, auquel répond des « fibromyalgiques bénévoles qui ont reçu une formation à l’écoute », pour ne citer que cet exemple.

Les allié.e.s des consommateurs et consommatrices et leurs organisations :

Les allié.e.s des consommateurs et consommatrices sont un groupe également très hétéroclite. J’ai emprunté le terme d’ « allié.e » aux analyses radicales de l’engagement des hommes dans le mouvement féministe et de celui des blancs dans le mouvement des droits civiques. Ces allié.e.s cherchent à agir dans l’intérêt des consommateurs et consommatrices sans nécessairement en être, tout en définissant eux-même en dernière instance ce qu’est cet intérêt. Ce qui peut mener à des situations où les consommateurs et consommatrices trouvent leurs « allié.e.s » gênants s’ils se trouvent en désaccord sur la question de ce qu’est l’intérêt des premiers. La notion d’allié.e est donc à prendre au sens presque militaire du terme, il s’agit d’un camp distinct affichant une volonté de coopérer mais aussi des logiques propres qui peuvent interférer avec cette coopération.

Ils s’agit généralement de gens qui ont été exposés à la problématique des neurochimiques de façon indirecte, et qui tirent de leur expérience l’envie de défendre l’intérêt des consommateurs et consommatrices de neurochimiques. Ils peuvent être parents, ami.e.s, ou proches quelconques d’un consommateur ou d’une consommatrice, être directement concerné par la consommation de neurochimiques, ou être ex-consommateur ou ex-consommatrice, des membres des professions de la santé et du social qui ont travaillé à ce type de problématique, ou encore des sympathisantes et sympathisants militants (les libertaires sont fréquemment ouverts à la légalisation des drogues dites douces pour des raisons idéologiques, par exemple). Les allié.e.s sont plus prompt que les consommateurs et consommatrices à former des organisations, et à les institutionnaliser du fait de l’image et/ou du statut juridique des différents neurochimiques, qui peuvent être un frein à la réunion.

Les allié.e.s des consommateurs et consommatrices peuvent donc :

-Agir en qualité d’individu. L’allié.e agit seul, ou avec d’autres allié.e.s, mais toujours en nombre restreint et sans qu’il n’y ait formation d’une organisation spécifique. Il peut toutefois bénéficier de structures organisationnelles pré-établies. Tout individu qui tente de protéger les intérêts des consommateurs et consommatrices par lui même peut rentrer dans cette catégorie. Ce type d’allié est souvent focalisé sur l’aide à une consommatrice ou un consommateur en particulier, lié à l’allié.e par des liens d’attachement quelconques. Il va s’agir des parents qui tentent de dissuader leur(s) enfant(s) de consommer des stupéfiants ou de fumer des cigarettes pour les protéger, ou d’une travailleuse ou d’un travailleur social qui en dehors de sa qualité de travailleuse ou travailleur social va fournir à un consommateur ou une consommatrice en difficulté un conseil particulier. Il peut également s’agir de célébrités par exemple, comme le réalisateur américain Rob Reiner, connu pour sa position farouchement anti-tabac.

-Agir en qualité de membre d’une organisation. Les allié.e.s sont organisés autour d’une structure la plupart du temps institutionnalisée, pour produire, généralement sur plusieurs consommateurs et consommatrices, une protection de leurs intérêts. Les structures de désintoxication, les groupes de paroles types Alcooliques Anonymes, les associations promouvant la mise à disposition de matériel et/ou locaux propres et d’information ou de quelque autre forme de soutien, mais aussi celle qui promeuvent la prévention prohibitionniste (décourager les gens de consommer sous aucun prétexte) rentrent dans cette catégorie.

Je développerais plus tard l’importance de ces allié.e.s et de leur statut si spécifique, lors de la présentation de l’histoire du neuropouvoir puis de ces implications actuelles. C’est dans l’organisation concrète de ces jeux de pouvoir que se révélera leur caractère foncièrement ambivalent.

La criminalité locale :

La criminalité locale est composé des délinquant.e.s dont le pouvoir, le revenu, le territoire impacté et la force de cet impact sont limités. Son dessein particulier est à mon avis la recherche du profit à petite échelle, et surtout à l’échelle individuelle. Cette criminalité ne couvre pas les groupes organisés au delà de la bande de quartier, et est fortement composée d’individus agissant seuls ou en petits groupes peu soudés.

Je passerais assez rapidement sur cette catégorie puisqu’elle n’a a mon avis qu’une importance assez secondaire dans les jeux du neuropouvoir, bien qu’elle mérite qu’on s’y attarde.

On peut selon moi séparer la criminalité locale liée aux neurochimiques en deux grandes catégories, celle des délits nécessaires et celle des délits collatéraux.

Celle des délits nécessaires correspond à la criminalité qui va obligatoirement avec le commerce de substances prohibées ou de produits contrefaits : l’acquisition ou la production, la possession et la vente d’un objet interdit par le vendeur ou la vendeuse. Il s’agit des échelons les plus bas de la trajectoire des stupéfiants ou de produits de contrebande (alcool, cigarettes, médicaments, ordonnances…), du ou des quelques derniers vendeurs ou vendeuses entre les mains desquels le produit est passé. Ces vendeurs et vendeuses sont rarement issus de milieux aisés, et pratiquent souvent cette activité par défaut ou par dépit, et ils arrivent rarement à dégager de grosses sommes de leur commerce. Les revenus qu’ils tirent de leur activité permettent généralement d’avoir entre assez d’argent pour vivre au minimum ou assurer leur propre éventuelle consommation de neurochimiques, et de quoi vivre de façon relativement aisée.

Des individus variés y participent, de la vendeuse-consommatrice ou du vendeur-consommateur qui cherche à assurer son approvisionnement en substance à la bande de voyous dont certains trafiquent pour se faire de l’argent, en passant par des médecins peu scrupuleux quant à l’usage de leurs ordonnances ou des petites cliques semi-organisées de vendeur ou vendeuse de rue/guetteur ou getteuse/mule, mais cette catégorie couvre aussi les cultivateurs et cultivatrices ou fabricant.e.s qui produisent des produits illicites en faible quantité pour eux et/ou un cercle restreint et désaffectionnent généralement la violence.

Les délits locaux collatéraux vont être le fait de vendeurs ouj vendeuses et consommateurs ou consommatrices qui, pour assurer leur approvisionnement en produit, vont avoir recours à des actes illégaux. Il s’agit de vols, extorsions, arnaques et autres cambriolages destiné à faire du profit pour pouvoir investir dans des produits mais aussi les agressions et autres violences qui peuvent servir à punir ou à se prémunir de la concurrence. Un type spécial de délit va aussi s’insérer ici : les délits sous substance. Certains neurochimiques tendent à brouiller les sens et l’entendement, ainsi qu’à désinhiber, et de nombreux délits se produisent après que l’auteur en ait consommé, le plus caractéristique de ces neurochimiques étant l’alcool. Ce type de délit englobe les accidents de la routes, agressions sexuelles et autres bagarres imputables au manque de lucidité induit par un psychotrope.

Certains cas échappent toute fois à ces deux catégories, en voici des exemples :

Le dopage au cours d’événements sportifs peut également être rangé dans cette forme de criminalité, bien qu’il puisse s’agir d’événements d’ampleur, le ou la dopé.e ne pouvant être qualifié d’organisation criminelle internationale. Il s’agit toutefois de rompre la loi qui veut que l’on participe sans aide chimique. Les stupéfiants comme les amphétamines ou la cocaïne servent souvent de produit dopant.

Des charlatans emploient fréquemment des neurochimiques, en se faisant passer pour expert.e.s dans le cadre de pratiques néo-chamaniques. Une économie du charlatanisme s’est ainsi développée au Pérou autour d’une boisson psychotrope locale, l’ayahuasca, qui est relativement célèbre et attire de nombreux touristes. Ils reproduisent grossièrement une cérémonie chamanique, mais beaucoup de problèmes adviennent, ces chamanes ne sachant que rarement bien doser et préparer leur mixture ou accompagner celles et ceux qui l’ont pris.

Une autre grande utilisation par des individus de neurochimiques va être de droguer autrui. Cette utilisation couvre par exemple l’utilisation de substances (comme l’alcool, des anxiolytiques ou du GHB) dans le but de rendre une personne vulnérable afin de l’agresser sexuellement. Mais on peut également ajouter certains manipulateurs, qui peuvent avoir une ou plusieurs victimes (comme dans certaines sectes) qui vont s’en servir pour avoir une emprise mentale sur leurs victimes.

La criminalité nationale et internationale :

Il s’agit d’une des catégories d’acteurs et actrices des plus intéressante à observer, du fait qu’elle est le lien pivot entre de nombreuses autres catégories, et se révèle très riche en interactions de divers types.

Cette criminalité d’envergure va avoir pour principal dessein l’accumulation de pouvoir à tous les niveaux où il peut s’appliquer et la production de bénéfices importants. J’inclus dans ce groupe d’acteurs tout les individus et organisations qui vont agir de sorte à dégager des profits de façon illégale à un niveau international ou national.

Les principales tâches réalisées en rapport avec les neurochimiques par cette criminalité peuvent être listées comme suit : achat et vente de neurochimiques interdits ou de contrebande, incluant l’import/export, la production de telles substances, le blanchiment d’argent provenant de telles opérations, la protection de ces opérations (par la création de vitrines légales, l’élimination de la concurrence, la punitions des mauvais débiteurs…), la corruption de fonctionnaires d’État ou de médecins, l’infiltration des lieux de pouvoir légitimes, la production et la mise sur le marché par les voies légales se substances douteuses, la fraude à la recherche, la fraude à la vente, la fraude aux brevets, la publicité mensongère, la participation à des manœuvres politiques ou géopolitiques, l’utilisation de l’argent dégagé par la drogue afin de commettre d’autres actes illégaux (comme se procurer des armes).La liste n’est pas exhaustive mais couvre à mon avis la majeure partie des exactions commises à un haut niveau en rapport avec les neurochimiques.

Comme pour les précédentes catégories d’acteurs et actrices, je vais faire un rapide inventaire des formes d’organisation couvertes par celle-ci :

-Les mafias. Les plus emblématiques des groupes criminels, les mafias n’en sont pas moins une forme très particulières. Il s’agit de groupes étendus, organisés et très hiérarchisés, avec des rites de passages et une forte inclusion sociale. On peut citer les mafias italiennes et siciliennes, la mafia italo-américaine, la mafia corse ou les yakuzas, pour les plus influentes. Les mafias touchent à toute sorte de pratiques illégales, comme le proxénétisme, les jeux, le racket et les trafics en tout genre. Leurs particularités sont cette hiérarchie stricte, l’infiltration des milieux de la politique et de l’économie légale et leur forte imbrication avec le contexte politique dans lequel elles évoluent. La mafia italienne et ses branches américaines, mais aussi la mafia japonaise ou les triades chinoises ont ainsi fortement été impliquées dans la lutte contre le communisme et tendent à préférer le conservatisme politique. Des traditions et croyances religieuses sont d’ailleurs fortement intégrées à l’ordre interne des mafias. Elles tendent à infiltrer toutes les niches de pouvoir possible afin de s’assurer une protection et des avantages, et des mafieux participent activement à la vie politique, étant parfois même élus, et à la vie économique légale, qui permet une base stable pour accomplir des activités plus risquées mais plus rentables.

-Les narco-terroristes. Il s’agit d’organisation terroristes, dont la première activité est la terreur politique, dont une partie plus ou moins importante du budget provient du trafic de neurochimiques, et plus particulièrement de stupéfiants. Des groupes comme Daesh ou Al-Qaïda, ou les FARC et l’ENL colombiens, ont pour principal objectif un but politique passant par le combat armé et ont su trouver dans le trafic de neurochimiques une source de revenu non négligeable. Selon une information du FNSK, service des stupéfiants russe, datant de novembre 2014, la moitié de l’héroïne consommée en Europe transiterait par l’Etat Islamique, lui rapportant jusqu’à 900 millions d’euros. Pour un budget total estimé à deux ou trois milliards de dollars, sans l’argent rapporté par l’héroïne, elle représenterait un tiers à un quart du budget total de cette organisation terroriste, on peut donc les qualifier de narco-terroristes.

-Les autres narco-trafiquants. On peut placer ici tous les trafiquants de stupéfiants qui n’agissent pas dans les types d’organisation susmentionnées. Il s’agit de trafiquants sans but politique, ou qui est secondaire par rapport au profit, et qui n’ont pas la même infiltration légale et dont les organisations sont moins ritualisées que les mafias, et sont moins polyvalents. Les organisations rentrant dans cette catégorie peuvent généralement être labellisées comme cartels, terme employé pour désigner notamment les narco-trafiquants d’Amérique Centrale et du Sud. Les cartels sont des organisation principalement tournées vers le trafic de stupéfiants, et vont peu se tourner vers d’autres sources de revenus illégaux.

-Les industries licites. Des industries dont l’existence et le fond de commerce sont légaux peuvent commettre des délits en rapport avec les neurochimiques. Elles vont ainsi permettre de blanchir de l’argent provenant de trafics illégaux (pour les banques par exemple) ou servir de moyen de transport (comme pour l’entreprise Ricard, dont le représentant aux USA dans les années 60′, Jean Venturi est accusé d’importer de l’héroïne en Amérique du Nord pour le compte de la French Connexion), mais peuvent remplir d’autres tâches encore.

Par ailleurs, les entreprises dont la vocation est de produire des neurochimiques licites peuvent contrevenir à la loi de façon spécifique. Elles peuvent faire le même type de délit que n’importe quel autre producteur de produit, en mentant sur sa qualité, en les vendant à des prix illégaux. Le type spécial de contreventement pratiqué par ces industries peut être : fraude à la recherche, vente de produits dans d’autres pays où ceux-ci sont illégaux, ou encore corrompre des praticiens et praticiennes de la médecine.

-Les opportunistes. Il s’agit d’individus que l’on peut plus ou moins considérer comme agissant de façon isolée. Ils ont une activité légale leur offrant des opportunité de commettre un délit, en l’occurrence en rapport avec les neurochimiques. Il s’agit donc de tous les individus, politiciennes et politiciens, médecins, entrepreneurs et entrepreneuses, salarié.e.s ou fonctionnaires, corrompus par les organisations ci-dessus, et qui en viennent à des pratiques illégales, ou au moins contraires à la déontologie requise pour ces fonctions. Par exemple, des politiciens peuvent couvrir des narco-trafiquants, comme à Ciudad Jùarez, au Mexique, où le gouverneur Francisco Barrio remettait la culpabilité de viols, meurtres et démembrements perpétrés par les cartels sur les femmes victimes de ces violences, cartels avec lesquels il s’est avéré avoir des connexions. (Je reviendrai sur cet exemple plus tard, mais un élément vaut à mon avis le détour dans l’argumentaire de Barrio : « elles sortaient danser avec de nombreux hommes » nous informe-t-il, insinuant qu’il s’agit d’un explicatif pertinent dans la genèse du meurtre, de l’agression sexuelle et de la mutilation de cadavres.) Mais les praticiennes et praticiens de la santé et les membres de la police ne sont pas non plus de reste, ces premiers ayant couramment des pratiques prescriptionelles déontologiquement douteuses. Le philosophe Jean-Claude St-Onge note ainsi une augmentation de la prescription d’antidépresseurs chez les jeunes de 6 à 12 ans à augmenté de 142% entre 2001 et 2005, sous prétexte de phobie sociale – et ce alors même que le rapport Zarifian, rédigé en France dans les années 90 indique que seule les études des fabricants indiquent une utilité significative des antidépresseurs, et que d’autres indiquent clairement des effets secondaires indésirables. En fait, l’entreprise GlaxoSmithKlines a été condamnée aux Etats-Unis à l’amende record de 3 milliards de dollars pour avoir indiqué le Paxil pour les enfants et adolescent.e.s et le Wellbutrin pour la perte de poids et contre la dysfonction sexuelle, indications qui se sont avérées mensongères.

1. Introduction à la sociologie des neurochimiques : Le neuropouvoir

  1. Introduction à la sociologie des neurochimiques :

    Le neuropouvoir

A)Introduction au neuropouvoir

Comme n’importe quel sujet complexe, le rapport être humain-neurochimique peut être abordé sous plusieurs angles. Celui que j’ai choisi, comme le fil qui me servira à démêler ma pelote, est celui de ce que j’appelle le neuropouvoir, et son expression, la neuropolitique. Je tenterais donc dans cette introduction de les définir, et d’en établir les grandes caractéristiques.

Il s’agit d’un concept fortement inspiré de, pour ne pas dire simplement décalqué sur, ceux de biopouvoir et de ses applications, l’anatomopoltitique et la biopolitique de Michel Foucault. L’auteur le plus important dans ma pensé des neurochimiques sera donc un philosophe et un historien plus qu’un sociologue au sens des méthodes et des buts qui sont associés à la fonction, et il ne s’agit pas d’un hasard.

Avant d’expliquer ces notions, je commencerait par expliciter celle de pouvoir.

Littéralement, pouvoir, c’est pouvoir quelque chose. On peut distinguer plusieurs types de pouvoirs : le pouvoir sur, le pouvoir de, le pouvoir par… Avoir du pouvoir c’est avoir un certain potentiel d’action pour façonner notre monde.

Chez Foucault, le pouvoir est canal, lien, vecteur plus que force, ou domination, et cette spécificité va rendre, à mon avis, ce type de conception du pouvoir bien plus adapté pour l’analyse d’un objet segmenté et protéiforme, sans oublier de rendre compte de la logique de cette mise en forme. Le pouvoir relie les individus, les groupes et les sociétés en étant raison d’agir, but, ressource et moyen tout à la fois. Le pouvoir est comme le ciment entre les briques de l’édifice social, comblant les vides et liant durablement chaque partie du tout. Comme il s’agit d’une émanation des individus, ou groupes, d’une nature presque exclusivement interactive, observer les canaux du pouvoir permet de situer ces entités parmi la multitude des entités similaires.

Les canaux, les flux de pouvoir révèlent les interactions, leur nature, leur qualité, mais aussi les hiérarchies formelles et informelles, les situations générales des parties en présence, ou leur capacité à produire du discours. Or il s’agit précisément du genre d’informations qui me semblent nécessaires à la construction d’une représentation réaliste d’un objet chaotique et conflictuel, où les groupes sociaux sont nombreux et leurs discours contradictoires.

Dans Histoire de la sexualité vol.1 la volonté de savoir, Michel Foucault expose ses concepts de biopouvoir, anatomopolitique et biopolitique.

Rapidement, le biopouvoir est la forme de prédilection du pouvoir à l’époque moderne, et il se développe en tant que tel après la disparition des monarchies absolues. Il s’agit d’un pouvoir qui s’exerce sur la vie des êtres humains, sur leur existence dans un sens assez large. Il est construit en opposition avec celui favori des monarchies, qui s’exerce sur la mort, dont l’expression la plus évidente est la peine de mort. Ce biopouvoir va donc, lui, régir la vie des individu.e.s par de multiples dispositifs normatifs et correctifs visant à produire les effets souhaités par celles et ceux qui sont favorisés par la répartition de ce pouvoir. Comprendre, dans nos sociétés, l’Etat et la bourgeoisie, principalement.

Il va donc s’exprimer à travers l’anatomopolitique et la biopolitique, qui seront les modalités d’application de ce pouvoir.

L’anatomopolitique est décrite par l’auteur comme « la discipline des corps ». Il s’agit de l’ensemble des pratiques de contrainte physique, d’enfermement, de torture et de discipline forcée appliqué.e.s dans un but correctif. Caractéristiques de cette forme d’expression du pouvoir, on, trouve l’internement psychiatrique ou l’emprisonnement.

La biopolitique est une application du biopouvoir qui passe par la gouvernance des populations, et la gestion de la vie humaine. Elle se traduit par une prise en compte de la biologie du vivant dans la mise en œuvre des politiques du pouvoir : c’est la prise en compte de la vieillesse, de la croissance démographique, de la jeunesse…etc. C’est l’encouragement à la natalité ou la politique de l’enfant unique.

Le neuropouvoir est comme une fraction spécifique du biopouvoir. Il se superpose à lui sur de grands nœuds et axes de pouvoir, mais est porteurs de spécificités qui le différencient du biopouvoir. Ce que j’appelle le neuropouvoir est le pouvoir sur le cerveau humain. Ce pouvoir porte à la fois sur l’accès à des ressources matérielles et à un marché où les écouler (les substances psychoactives diverses), sur la possession de connaissances spécifiques (on peut penser aux études cognitives en publicité), sur la formulation de discours (du discours de prévention anti-drogue de l’Etat aux théories cognitives et neurologiques sur le comportement humain) et sur la répression physique (qu’il s’agisse de l’emprisonnement des consommateurs et consommatrices de drogue ou de la lutte armée contre les narco-trafiquants et narco-terroristes).

Le neuropouvoir se différencie du biopouvoir du fait que son expression, la neuropolitique, va systématiquement conjuguer des aspects de l’anatomo et de la biopolitique en une synthèse caractéristique. Ainsi, la consommatrice ou le consommateur d’héroïne, du côté de l’Etat va être à la fois physiquement discipliné par l’obligation de se désintoxiquer ou par la discipline carcérale s’il se retrouve en prison, et démographiquement contrôlé par les politiques de prévention et les multiples discours officiels ou rattachés. De même la publicité basée sur la cognition empêche parfaitement de distinguer clairement la politique des corps et la politique des vies, puisqu’un discours (« achetez ceci ») va être énoncé dans un support (supposé) coercitif pour l’esprit humain (par l’utilisation du format, de la coloration, de la temporalité..etc les plus marquants pour les sujets tests) dans un même spot. Cet exemple, bien qu’il s’écarte de ma thématique offre un schémas intéressant pour expliquer mon idée de neuropolitique. Dans une publicité de ce type, le support coercitif et l’injonction discursive se confondent, se renforcent mutuellement, tout en perdant leur efficace s’ils sont séparés. Le support sert de véhicule au discours, qui lui, pointe la direction d’application dudit support. Le spot sans discours est vide de sens, et le discours sans spot est vide d’impact.

Bien que d’autres éléments liés au neuropouvoir, comme la publicité cognitive (ou neuromarketing) et la production de discours en neuroscience, soient tout aussi digne d’intérêt, je tenterais maintenant de n’y revenir que rarement. Les neurochimiques seront l’objet exclusif de mon attention.

Ceux-ci sont à la fois un enjeu, un moyen, une ressource et un effet. Comme les spots publicitaires évoqués plus hauts, leur imbrication dans les politiques des acteurs en présence engage systématiquement toutes ces caractéristiques à la fois. De plus, les acteurs, justement sont particulièrement divers : les consommateurs, bien sur, les petits vendeurs, les narco-trafiquants, les narco-terroristes, les narco-Etats, la police intérieure, les polices internationales, les services secrets, les institutions politiques de la médecine, les médecins, psychiatres, neurologues, addictologues et autres toxicologues, mais aussi des travailleurs sociaux, des personnages publiques (des politiciens aux stars), les institutions internationales, l’ONU, des anthropologues, des associations, des militants pro-légalisation/dépénalisation, des juristes et magistrats, des laboratoires pharmaceutiques et leurs organisations représentatives, les patients traités aux médicaments psychoactifs…etc. Sont ainsi liés par les neurochimiques des acteurs, groupes et institutions très variables dans toutes leurs caractéristiques, dont les relations complexes nécessitent d’appréhender le sujet aux niveaux d’analyse macro, méso et micro, mais aussi dans son historicité. Pour comprendre dans ses détails une consommation locale, par exemple, il faut comprendre le marché local, et pour le comprendre, le marché international, et pour le comprendre l’histoire de la globalisation des marchés économiques…

Pour toutes ces raisons, j’ai estimé que l’approche la plus complète de la galaxie sociale des rapports aux neurochimiques devait passer par les notions de neuropouvoir et de neuropolitique qui offrent une prise en cela qu’ils relient entre eux l’ensemble des acteurs, lieux et époques concernés, traçant comme une cartographie des relations humaines liées aux substances neurochimiques. Inversement, observer les rapports de pouvoir au prisme des neurochimiques permet de soulever des logiques souvent cachées ou discrètes qui révèlent des processus inattendus, comme les connivences entre les mafias européennes et une certaine extrême droite. Je me servirais donc de ces idées pour passer d’élément en élément, bien que je quitterais souvent l’approche foucaldienne pour analyser ces éléments dans leurs détails.

Mes concepts présentés, je vais par la suite de cette introduction aller plus en avant dans la description de leurs caractéristiques. Je présenterais ainsi les grands groupes d’acteurs qui y sont liés, les enjeux du neuropouvoir, et j’essayerais de retracer son histoire le plus fidèlement possible.

Sociologie des neurochimiques

Qu’est-ce ? A quoi ça sert ?

De longue date existent des sociologues, psychologues, philosophes, écrivains et écrivaines et autres penseuses et penseurs, qui se sont penchés sur les tenants et les aboutissants de la consommation, production ou vente des neurochimiques que sont les stupéfiants, l’alcool et le tabac, par exemple. Bien que multiples, toutes les approches envisagées restent parcellaires, car le plus souvent traitées sous l’angle d’un seul paradigme d’une seule discipline à la fois, sur une seule substance ou une seule facette des processus à l’œuvre. On a ainsi des études d’anthropologues et ethnologues sur les usages de drogues anthéogènes, des travaux de médecins, sociologues, psychologues ou psychiatres sur l’addiction à telle substance, de médecins sur les dangers physiques, etc…. Mais ces différentes approches, isolées et isolantes, empêchent de cerner avec précision les logiques intrinsèques du rapport de l’humain au produit neurochimique.

Tout d’abord un petit précis des termes :

-Drogue : substance agissant sur le comportement humain.

-Stupéfiant : drogue illégale. Définie en droit français par deux critères : effet sédatif ou excitant, addiction.

-Substance psychoactive : substance qui a une action sur la psyché.

-Anthéogène : source naturelle, peu ou pas transformé de molécules psychoactives.

-Neurochimique : au sens où je l’emploie, il s’agit de l’ensemble des produits consommés par l’être humain induisant une réaction du cerveau en terme de neurotransmetteurs. Cette catégorie de molécules embrasse donc les drogues, les psychoactifs, les stupéfiants , les anthéogènes…

Mon ambition est donc de ne pas m’occuper d’un seul neurochimique, ou seulement des stupéfiants, mais de comprendre ce qui lie et qui divise l’ensemble de ces substances, ainsi que leur articulation avec le monde et les représentations qui en découlent. D’où l’intérêt d’un terme aussi englobant que neurochimique, qui permet par sa généralité de saisir la réalité de l’objet : il est impossible de définir au vu et égard des effets variants un critère scientifique, chimique, qui lierait ensemble l’ensemble des drogues, ou même l’ensemble des stupéfiants. La catégorie de neurochimique, elle, fournit une telle prise : que ce soit sur la sérotonine, l’adrénaline ou la dopamine, par inhibition, imitation, stimulation, toutes les neurochimiques (et donc toutes les drogues, les stupéfiants et autres psychotropes) agissent au niveau des neurotransmetteurs.

Bien séparer le terme de sens commun et sa définition (subjective et vague) de celui de neurochimique nous permet alors de nous interroger : comment se fait-il que la définition de drogue ou de stupéfiant fassent principalement intervenir des critères humains (comportementaux et juridiques, en l’occurrence) plutôt que bio-chimiques ? Subjectifs et soumis à l’appréciation plutôt qu’objectifs, décelables, mesurables ?

C’est que ce que l’on nomme « drogue » est avant tout la traduction par les acteurs sociaux des neurochimiques lors de leur passage dans la société. Là où le neurochimique existe sans l’homme, la drogue à besoin de l’être humain pour être, ce sans quoi elle n’est que neurochimique. La drogue est le pendant social du neurochimique.

Puisque la notion de drogue, ou celle de stupéfiant sont des traductions, résultant de la rencontre du social et du neurochimique, il faut bien entendre que le rapport des êtres humains aux neurochimiques est éminemment social, et c’est ce rapport, complexe, multidimensionnel, multi-factoriel, que j’ambitionne de disséquer ici.

Bien qu’il s’agisse d’une tâche considérable, mon but à long terme est de réaliser des approches sociologiques du rapport de l’être humain aux neurochimiques, sous l’angle de plusieurs théories et méthodologies employées de façon complémentaires : structuraliste constructiviste, fonctionnaliste, compréhensive, interactionniste…

La complexité de l’objet force à emprunter des méthodes et connaissances d’autres disciplines pour venir compléter l’analyse sociologique, l’économie micro et macro, l’addictologie, la psychologie et la psychologie sociale, mais aussi la toxicologie et même la géopolitique seront fortement mobilisées.

Mon idée est de tenter d’articuler l’ensemble des interactions entre les neurochimiques et le monde social -ou, tout du moins, autant d’entre elles que je pourrais en énumérer- afin d’obtenir un point de vue global et aussi détaché que possible des lieux communs. L’idée derrière cette démarche est de produire une compréhension critique, politique (est politique tout ce qui permet d’identifier un pour ou un contre, par conséquent, l’ensemble des règles de vie en société est d’ordre politique) d’un phénomène mé et mal-connu, suscitant une détestation consensuelle et souvent un oubli de la nature sociale des lois et normes.

Remplacer les catégories usuelles de psychoactifs par celle de neurochimique permet d’introduire la relation de l’acteur au produit dans sa dimension biochimique et de mettre l’accent sur le continuum entre ces produits, afin de pouvoir saisir avec plus de précision la place des caractéristiques chimiques d’un produit dans leur traitement par le monde social, juridique, économique. S’il existe déjà des travaux de sociologie abordant, dans une perspective critique ou non, l’importance du social dans la création de loi, ou l’influence de la loi et de l’idéologie médicale sur les conduites de prise de drogue, la nature chimique des produits est reléguée au second plan. Or elle est nécessaire pour comprendre ce qui fait qu’une drogue est délaissée, ou au contraire adoptée plutôt qu’une autre, ou encore, capital, ce qui fera son statut juridique (notez que je n’insinue pas une justesse des lois ou de la liste établie des stupéfiants) ou l’intéressement qu’auront à la vendre les trafiquants. Bien sur, le social concourt de façon prévalente à ces processus, mais il n’empêche que les acteurs divers touchant à la drogue prennent en compte la nature des ou du produit en cause dans l’élaboration de leur stratégies, et il faut que ceci se reflète dans les travaux de recherches se penchant sur le sujet. Enfin, le terme de neurochimique permet de sortir du cadre réducteur de la déviance, car pratiquement tout le monde, en France, consomme des neurochimiques : café, cigarette, alcool, anesthésiants, médicaments psychotropes (antidépresseurs, hypnotiques, anti-anxiolytiques et autres thymo-régulateurs), stupéfiants divers et variés… On sort alors clairement de la déviance seule, qui reste bien sur une piste explicative importante pour certains types de consommation, mais elle se révèle impuissante à traiter la consommation massive de caféine actuelle, ou l’usage de médicaments psychotropes ou d’anesthésiants dans un cadre médical.

Je tenterais donc dans ce blog de monter un modèle de compréhension de la sociologie des neurochimiques, qui, si je ne faillis pas à ma tâche, proposera un paradigme global au croisement de plusieurs disciplines -de la biologie à l’économie- avec bien entendu une belle part faite à la sociologie. J’emprunterais à celle-ci tant des thèmes, comme la déviance, le droit ou la santé, que des méthodes, comme l’interactionnisme ou le fonctionnalisme.

Pourquoi ce sujet d’étude ?

Dans une optique d’honnêteté intellectuelle et de réflexivité de la pensée, je souhaiterais clarifier mes motifs quant au choix des neurochimiques comme thématique principale à ce blog et à la production intellectuelle qui, je l’espère, le suivra.

Tout d’abord, il s’agit d’un sujet qui me touche personnellement et profondément. Pour me présenter brièvement, je suis un jeune homme qui suit un parcours universitaire en sociologie que je me rêve à clore par l’entrée dans la recherche en sciences sociales. J’ai eu une adolescence chaotique et mouvementée, au cours de laquelle j’ai expérimenté de nombreuses substances et la consommation quotidienne de cannabis. J’ai également fréquenté beaucoup de toxico-consommateurs, certains relativement bien intégrés, en bonne santé et maîtrisant leur consommation, et d’autres moins. J’ai alors essayé de penser ce qui pouvait faire que certains consommateurs de drogue, en l’occurrence de stupéfiants, se retrouvent parfois marginalisés. Même dans des cas peu extrêmes, de simples lycéens qui flirtaient avec la culture déviante, par exemple, je relevais des mécanismes sociaux que j’aurais qualifié de dysfonctionnels et desquels résultaient divers types de difficultés : conflits familiaux plus où moins graves, fragilisation de la situation sociale, phénomènes d’exclusion, etc. De fil en aiguille, j’ai problématisé avec plus de finesse et de détail ces interrogations, et j’ai enrichi mes conceptions par la lecture de matériau scientifique et politique afin de produire la suite de texte dont celui-ci est la présentation.

Comme je le disais, je suis personnellement et profondément concerné par le sujet, aussi peut-être fais-je acte de parti-pris ou entorse à la neutralité axiologique, mais il me semble qu’être dans un tel rapport à son objet de recherche offre également une prise dans la familiarité et une expérience immersive de terrain. Or une telle connaissance pratique du sujet fait de mon point de vue défaut aux experts et paradigmes d’appréhension en vogue. En effet, statistiquement, ce sont les employés du secteur médical et social qui consomment le moins de stupéfiants, d’alcool, de tabac, et ce sont eux qui, pour les premiers vont dicter les normes de consommation (et même, nous le verrons, parfois les lois) et produire l’information destinée au grand publique, et les second qui vont se retrouver en contact avec les populations toxico-consommatrices, et qui plus est uniquement celles qui sont dans les situations les plus difficiles. De plus, le fait que les principales disciplines à s’être penchées sur le sujet, à savoir la médecine et la psychologie, aient une approche individualiste, souvent naturaliste ou ignorante des facteurs sociaux et sociétaux, est également à mon avis un frein des plus important à l’appréhension de la complexité du phénomène observé. La majeure partie des études sur le sujet se concentrent alors sur les risques physiologiques de la consommation, et sur des facteurs explicatifs de la dépendance -la plupart du temps sous l’angle étriqué des insuffisances personnelles de l’individu dépendant. Non pas que les caractéristiques individuelles n’interviennent pas dans le processus de différenciation des attitudes face à la drogue, mais le réduire à cela, c’est renoncer à la neutralité d’approche et à une vision globale multi-disciplinaire, du phénomène.

Mon but est alors de prendre la parole en tant que toxico-consommateur et en tant que futur sociologue (du moins, je l’espère), afin d’aborder la thématique sous un angle qui rafraîchisse ces conceptions lacunaires. Ainsi, vais-je tenter de donner la parole aux consommateurs par le biais d’entretiens, à des acteurs d’ONG, articuler les connaissances des différentes disciplines des sciences humaines et sociales (mas aussi, en plus faibles dosages, de sciences « dures », comme la biologie ou la génétique) et à des données d’ordre géopolitiques et/ou historiques pour tenter de proposer une vision cohérente et nuancée des phénomènes sociaux résultant de l’interaction humain-neurochimique. L’idée derrière ma démarche est de sensibiliser le lecteur à la question de la drogue et de ses normes dans leur aspect politique. Mes écrits se veulent une invitation à la réflexion critique sur un phénomène social, les représentations et les lois qui le régissent. Je mobiliserais de nombreuses études, quelques documentaires, des entretiens semi-directifs comme matériau, et éventuellement, en parallèle, une poignée d’expériences personnelles.